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La charge mentale en milieu vétérinaire : tous égaux ?

Crédit photo @Maria Sbytova - stock.adobe.com

Voilà quelques années que la notion de “charge mentale” est mise sur le devant de la scène. On l’associe volontiers à un travail prenant, ou aux obligations domestiques, mais qu’en est-il exactement ? L’expression a été définie pour la première fois en 1984, par Monique Haicault, qui caractérise la charge mentale par le fait de devoir penser simultanément à des choses appartenant à deux mondes séparés physiquement. Il s’agit d’une charge cognitive associée à la “gestion” de tâches (professionnelles, domestiques…) plutôt qu’à leur “réalisation”. En d’autres mots, on parle de charge mentale lorsque l’on a toujours dans un coin de la tête la liste des choses à faire, que cela soit à la maison ou au travail.

Supporter un certain degré de charge mentale est inhérent à toute activité. Là où le bât blesse, c’est lorsque la charge mentale devient trop lourde à supporter, prenant toute la place et impactant la qualité de vie. Certains événements (création d’entreprise - la clinique vétérinaire en est une ! -, naissance d’un premier enfant…) vont naturellement renverser l’équilibre et redistribuer les cartes. En 2022, la charge mentale dans le foyer repose encore essentiellement sur les femmes et, si les inégalités commencent à être moins marquées, elles sont encore largement présentes dans la plupart des couples.

Et chez les vétérinaires, alors ? Profession maintenant majoritairement féminine, plutôt féministe, éduquée, dans laquelle les femmes accèdent aux mêmes fonctions que les hommes sans que cela ne soit plus remis en question, on pourrait légitimement penser qu’hommes et femmes se trouvent sur un pied d’égalité. Mais dans les faits, la pratique rejoint-elle la théorie ?


Bien-être au travail et charge mentale

Si l’on commence par observer ce qu’il se passe dans le milieu professionnel, parler de charge mentale chez les vétérinaires prend tout son sens. Métier multi-casquettes, exigeant, demandant une grande disponibilité et de grandes facultés d’adaptation, notre profession est à haut risque de burnout… et de charge mentale qui explose. Parmi les facteurs de risques, on peut évoquer :

  • Un « temps de cerveau disponible » élevé : rares sont les consultations qui reposent réellement l’esprit. Quand on passe du temps agréable avec un client sympathique, dont l’animal demande une prise en charge « facile », c’est pour mieux se retrouver face à un ou plusieurs cas compliqués derrière. Il faut alors penser à la multitude de tâches incombant à la gestion de tels cas. Envoyer des analyses au laboratoire, contacter le client pour le suivi, faire un travail bibliographique, téléphoner au centre de référé le plus proche, gérer les patients hospitalisés et mettre à jour leur traitement… Et comme toutes ces tâches annexes se font généralement entre deux consultations, le cerveau y pense alors que nous sommes en train de faire autre chose.
  • Une gestion administrative lourde : le·la vétérinaire libéral·e est aussi un·e chef·fe d’entreprise. En plus de son activité de praticien·ne, il ou elle gère une équipe, un planning, un budget, assure la comptabilité… Tâches pour lesquelles iel a été peu formé·e pendant sa scolarité. Ce manque de connaissances associé à un souci de rentabilité, dans un contexte où il est difficile de déléguer, accroît considérablement la charge mentale liée au travail.
  • Une clientèle exigeante émotionnellement : nous devons constamment jongler entre différents profils de clients, mais également entre différents types de consultations. Terminer une euthanasie difficile émotionnellement, puis accueillir avec un grand sourire un chiot pour sa première consultation. Rester aimable, compréhensif, empathique même quand la situation est compliquée, ou n’est pas en accord avec nos valeurs. Ces efforts de compréhension, de concentration et d’adaptation génèrent une contrainte psychique supplémentaire de charge mentale.
  • Un travail de nuit et de week-end : avec l’obligation de permanence et continuité de soins, le·la vétérinaire est régulièrement exposé·e aux gardes et astreintes. Ces contraintes empiètent sur la vie personnelle, peut-être encore plus dans le cadre des astreintes. Être chez soi, dans l’attente de la sonnerie du téléphone empêche de couper complètement avec le travail et rend encore plus difficile l’effort de compartimentation vie professionnelle / vie privée.

Sans surprise, le métier de vétérinaire implique d’être sur tous les fronts, de penser à tout et de répondre présent à toute heure de la journée… voire de la nuit ! La charge mentale au travail, lorsqu’elle est élevée, exerce une forme de pression psychologique. On peut alors avoir l’impression de manquer de temps, de tout faire dans l’urgence, d’être débordé·e. Cet encombrement mental prend toute la place, et déborde en dehors des horaires de travail. Combien sommes-nous à penser au travail sur notre temps libre ? Lorsque l’équilibre ne se fait plus, on peut craindre un épuisement professionnel.

Mais hommes et femmes ressentent-ils cette pression de la même manière ? Si l’on se réfère à l’enquête sur la santé au travail des vétérinaires conduite en 2019 [1], ce sont les femmes qui témoignent d’un épuisement professionnel le plus important. Vivre en couple est associé à un score de burnout moindre… mais uniquement chez les hommes. Enfin, chez les cadres dans la population générale, l’indice de charge mentale professionnelle est de 4,9/10 pour les femmes, contre 4,5/10 pour les hommes (enquête IFOP [2]), une différence significative.

La charge mentale professionnelle touche donc durement tous les vétérinaires, mais les femmes semblent encore plus impactées. Comment expliquer ces disparités ?

Quand la charge mentale domestique empiète sur le travail

En réalité, il n’est pas possible de mentionner la charge mentale professionnelle sans évoquer ce qu’il se passe au sein du foyer, tant ces deux univers vont mutuellement s’impacter. En 2010, selon l’Insee, les femmes prennent en charge 64% des tâches domestiques et 71% des tâches parentales. Un exemple parlant parmi tant d’autres : 90% des rendez-vous chez le pédiatre sont pris… par des femmes. Un fardeau qui pèse lourd dans la vie quotidienne et qui influe sur leurs choix professionnels.

Chez les vétérinaires, il n’existe pas de statistiques détaillées, mais il suffit de discuter avec quelques consœurs pour comprendre que le déséquilibre est également bien présent dans notre profession. Oui, bien sûr, il existe des hommes qui endossent eux aussi leur part de charge mentale, mais cela ne change rien à la tendance générale. Il n’est donc pas nécessaire de brandir l’étendard « not all men ». Employons plutôt notre énergie à rendre le partage des tâches plus équitable.

Par ailleurs, un clivage plus net encore s’opère à la naissance du premier enfant, et le fossé se creuse au fur et à mesure que la famille s’agrandit. Pour reprendre l’enquête IFOP, l’indice de charge mentale professionnelle s’élève à 5,2/10 pour les mères de famille, contre 4,7/10 pour les femmes n’ayant aucun enfant à charge, alors que les hommes sont bien moins impactés au travail par leur parentalité.

C’est en effet souvent après l’arrivée des enfants que les femmes choisissent de passer à temps partiel. Plus confortable sur le papier ? En réalité, les femmes sont nombreuses à parler de « double journée » lorsqu’il faut, en plus de sa journée de travail, gérer toute l’intendance de la maison et l’éducation des enfants. Chez les vétérinaires, le temps partiel concerne 40% des femmes, contre 28% des hommes [3]. Mais peut-on réellement parler de choix ? Plus il existe de disparités au niveau du partage des tâches domestiques, plus l’insatisfaction des femmes à travailler plus que leur conjoint est grande, selon une étude américaine [4]. La modification de son emploi du temps au travail peut donc s’imposer comme l’unique solution pour faire face à une charge mentale qui explose (et au burnout parental qui rôde). Bien sûr, la réduction du temps de travail permet également de passer plus de temps avec ses enfants, mais ce n’est pas le seul facteur pesant dans la balance.

Ainsi, la charge mentale liée à la sphère privée ne se contente pas se de rajouter à celle liée à la sphère professionnelle. Elle déborde sur celle-ci, et dicte les comportements des femmes au travail. Alors que la profession se féminise, les écarts entre les genres sur le marché du travail restent encore à combler.

Quelles solutions à l’avenir ?

Alors, quelles solutions pour rendre la charge mentale plus supportable ? Les normes sociales évoluant lentement, il reste encore très ancré dans les mœurs que les femmes prennent en charge la gestion du foyer. Pour que cela ne devienne pas un fardeau de plus, il est nécessaire d’en parler, de faire admettre les inégalités, et de réfléchir à une éducation moins genrée des enfants dès leur plus jeune âge. Les stéréotypes qui sont véhiculés impactent les futurs comportements. Il est donc temps de normaliser l’image du père qui s’implique autant dans le foyer que sa conjointe, demande un congé parental, ou réfléchit à mieux faire concilier sa vie privée avec sa vie professionnelle. 

Au travail, il semble également nécessaire de tenir compte des facteurs de risque de charge mentale élevée. Prévoir des pauses pour l’administratif, déléguer ce qui peut l’être, poser les limites avec certain·e·s client·e·s trop chronophages… Et globalement veiller à maintenir une très bonne ambiance de travail, socle nécessaire pour que toute cette charge professionnelle devienne plus supportable au quotidien.


Il y a donc encore beaucoup à faire pour que la charge mentale soit partagée équitablement, même si la société est en train de connaître de profondes transformations, dans le bon sens. Alors que les hommes et les femmes vétérinaires pratiquent le même métier, ces dernières vivent plus difficilement la charge mentale professionnelle. Pas parce que ce sentiment est inhérent à leur genre, mais bien parce que cette sur-sollicitation du cerveau se rajoute à celle, déjà lourde, qu’elles subissent en majorité dans leur vie privée. Alors pour rééquilibrer les rôles et les emplois du temps au travail, commençons par regarder ce qu’il se passe à la maison !

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] D. Truchot et al. , La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale, 2022, [En ligne]. Disponible sur  : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2022-06/Rapport%20Cnov%20et%20V%C3%A9tos%20Entraides%20VFinale%2013062022.pdf [Consulté le 10 octobre 2022] ;

[2] Tristan Leteurtre, Charge mentale : comment le travail empoisonne notre vie privée, 2019. [En ligne] Disponible sur : https://blog.mooncard.co/ifop-charge-mentale-et-vie-priv%C3%A9e [Consulté le 10 octobre 2022] ;

[3] Atlas démographique de la profession vétérinaire 2021, l’Observatoire nationale démographique de la profession vétérinaire, 6ème édition, [En ligne], Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2021-11/ODV-ATLAS-NATIONAL-2021.pdf [Consulté le 10 octobre 2022] ;

[4] Sarah Flèche, Anthony Lepinteur, Nattavudh Powdthavee. 2018. « Gender Norms and Relative Working Hours : why do women suffer more than men from working longer hours than their partners ? », AEA Papers and Proceedings, 108 : 163-68 ;

[5] Sarah Flèche, Laura Sénécal, La charge mentale, une double peine pour les femmes, 2021. [En ligne] Disponible sur : https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/dialogues-economiques/la-charge-mentale-une-double-peine-pour-les-femmes [Consulté le 10 octobre 2022].

 

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