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Être vétérinaire, c’est aimer les animaux ? 

Crédit photo @ OP38Studio - stock.adobe.com

Volontairement provocatrice, cette question à laquelle on a spontanément envie de répondre " oui, bien évidemment ! " appelle en réalité une réponse nuancée. S’il est évident que l’attrait pour le monde animal fait partie des motivations premières des étudiants qui embrassent une carrière vétérinaire, cela ne suffit pas à garantir leur épanouissement professionnel par la suite. Alors aimer les animaux, d’accord… Mais dans quelle mesure, et à quel prix ?


Pour y répondre, il faut définir ce que l’on place dans cet " amour des animaux ". Du respect, de la considération, de l’empathie voire de la tendresse semblent être de bonnes bases. Mais dans les faits, la société n’attend-elle pas un engagement total, désintéressé et militant des vétérinaires envers les animaux pour juger qu’ils les aiment suffisamment ? Ce sont de biens hauts standards qui ne correspondent pas tellement à nos réalités. Décryptons. 

Devenir vétérinaire, c’est accepter que sa relation aux animaux va changer 

Plus de 90% des vétérinaires ont entamé leurs études dans le but de " soigner les animaux ", nous indique l’enquête de Véto Entraides sur les reconversions [1]. Si l’on écoute les épisodes de Vet’o micro, on remarque également que la passion des animaux est un élément de motivation très fort pour se lancer dans cette voie. Les témoignages évoquent fréquemment une passion pour les chevaux ou un contexte familial favorisant, telle une enfance passée aux côtés des vaches ou des animaux de compagnie. 

Au début de notre parcours, l’animal est pour nous un compagnon, un partenaire sportif, éventuellement un objet d’admiration. Les interactions que nous établissons avec les animaux de notre entourage sont majoritairement positives et enrichissantes. Pourtant, à la minute où nous enfilons notre blouse, le statut de l’animal se met à changer : celui-ci devient un patient. C’est également tout le contexte de la relation qui change : l’animal est stressé, parfois malade, dans un environnement peu familier. 

Le vétérinaire, pourtant armé des meilleures intentions, devient alors la personne responsable de ce stress. Il sait qu’il va soumettre une partie de ses patients à des expériences désagréables tels des actes douloureux ou une hospitalisation. Difficile alors d’ignorer le conflit intérieur que cela génère inévitablement : "je veux le meilleur pour mon patient, mais les soins que je dois lui prodiguer lui provoquent de l’inconfort " ; " j’aime les animaux mais eux ne sont pas ravis de venir me voir.  " Pour bien faire son travail de thérapeute et répondre aux demandes des propriétaires, peut-être est-il préférable de ne pas se laisser influencer par ses sentiments les plus forts. 

Par ailleurs, la relation que nous entretenons avec nos patients se module également en fonction du temps et de nos expériences. Le vétérinaire qui aura été mordu, tapé ou agressé par un animal peu coopératif développera naturellement plus d’appréhension et de retenue. Croire que les vétérinaires se prennent tous de passion pour chacun de leurs patients relève plus du conte de fées que de la réalité. Aimer les animaux ne signifie pas aimer tous les animaux. Les interactions avec certains patients peuvent également être désagréables pour le vétérinaire : stress, agacement… Il n’y a pas de honte à admettre qu’il existe des patients plus aimables que d’autres. On s’éloigne de l’image du vétérinaire saint parmi les saints qui tendrait la joue gauche après avoir été croqué sur la droite. L’amour pour les animaux n’est plus absolu mais circonstanciel et conditionné… Ce qui n’empêche en rien d’œuvrer pour leur santé et leur bien-être. À défaut d’amour, nos patients méritent le respect et une prise en charge adaptée. 

Oui, mais le bon vétérinaire, il aime les animaux, lui 

Parmi les critiques bêtes et méchantes auxquelles de nombreux vétérinaires sont confrontés, on retrouve bien sûr ce reproche de " ne pas aimer les animaux. " Qu’elle fait mal, cette phrase ! Pourquoi, d’ailleurs ? On ne devrait pas être si touché par une affirmation sans fondement. En réalité, ce que le client exprime souvent c’est qu’il n’a pas les moyens de faire soigner son animal et qu’il n’a pas obtenu de remise sur les actes (voire leur gratuité !) Le vétérinaire est alors un coupable tout désigné, puisqu’il n’endosse pas cette responsabilité… qui incombe pourtant au propriétaire ! L’accusation est facile, même si l’amour des animaux a finalement peu de choses à voir avec cela. 

De son côté, ce que le vétérinaire entend, c’est la négation des nombreux sacrifices effectués au service de son métier. Longues années d’études épuisantes, nuits sans sommeil, vie de famille mise de côté, efforts financiers fréquents également (nous sommes nombreux à donner gratuitement de notre temps et de nos compétences et à effectuer des remises régulièrement). Alors être accusé d’être un mauvais vétérinaire qui n’aime pas les animaux, c’est pire qu’une injustice : c’est une trahison. 

Pourtant, qu’est-ce que c’est, un bon vétérinaire ? Pour le client, ce n’est pas tant un vétérinaire technique et compétent qu’un vétérinaire chaleureux, bon communiquant et à l’aise avec le relationnel [2]. Alors peut-on être un bon vétérinaire sans que l’amour des animaux soit son moteur principal ? Bien sûr, et cela n’empêche pas non plus de s’épanouir professionnellement. Il faudrait d’ailleurs aimer au moins autant les gens que les animaux pour exercer en clientèle, car les relations avec les propriétaires occupent également une bonne partie de notre temps. 

À l’inverse, un vétérinaire trop sincèrement passionné par les animaux pourrait se heurter à de grandes difficultés : fatigue compassionnelle, sentiment d’impuissance face à la souffrance animale, euthanasies très mal vécues… Dans une profession déjà touchée par les difficultés psychologiques et les reconversions, les profils les plus empathiques se dirigent plus vite que les autres vers l’épuisement émotionnel. Pourtant, la sélection actuelle des vétérinaires ne tient pas compte de cet aspect. Les nouvelles voies d’accès aux études vétérinaires permettront-elles de changer la donne ? Ce n’est pas sûr… 

Reste à trouver le juste milieu. Si l’on n’éprouve plus aucun plaisir à côtoyer les animaux en tant que vétérinaire (généraliste, du moins), alors l’amertume et le cynisme guettent aussi 

Aimer les animaux… Jusque dans notre vie personnelle 

Une des autres attentes de la société envers les vétérinaires, c’est que leur amour pour les animaux occupe tous les pans de leur vie. On s’étonne qu’ils ne se réjouissent pas de parler des animaux pendant les repas de famille ou bien qu’ils ne soient pas plus engagés en faveur du bien-être animal sur leur temps libre. En caricaturant, il faudrait posséder toute une ménagerie chez soi en récupérant les animaux abandonnés, adopter une alimentation végétalienne (" c’est bizarre d’être vétérinaire et de manger de la viande, non ? ") et s’enthousiasmer à toute évocation d’un animal mignon. 

Vous sentez l’angoisse monter ? Comme souvent, le curseur sera très personnel. Certains rempliront suffisamment leur " réservoir affectif " au travail et n’éprouveront pas le besoin de rechercher le contact animal au-delà. Passer sa journée à soigner les chevaux peut faire passer l’envie de pratiquer l’équitation sur son temps libre, par exemple. D’autres au contraire seront heureux de retrouver une relation plus douce et privilégiée avec leurs propres animaux et n’envisageront pas leur vie sans quelques bêtes à quatre pattes à leurs côtés. 

Justement, pratiquer la médecine vétérinaire permet un recul que ne peuvent avoir les particuliers. Nous sommes les témoins quotidiens des difficultés et des contraintes inévitables que suppose l’adoption d’un animal. Comment expliquer à nos clients qu’il faut sortir leur chien trois à quatre fois par jour, alors que son propre emploi du temps permet difficilement cette possibilité ? Comment ne pas compatir avec les propriétaires dépassés alors que son propre chien détruit tout dans la maison et saute sur tout ce qui bouge ? Alors oui, on peut être vétérinaire, aimer les animaux, et pour autant ne pas en avoir chez soi. Par manque d’envie, ou tout simplement par conscience qu’on ne pourra pas leur fournir la vie la plus idéale possible, ni atteindre le degré de dévotion de certains propriétaires. 

Enfin, si les vétérinaires sont bien évidemment engagés dans leur quotidien en faveur du bien-être animal (en soignant, en appliquant des mesures préventives, en éduquant), on les retrouve rarement à la tête des groupes militants. Peut-être, encore une fois, grâce au recul permis par le métier. Entre l’acharnement déraisonnable de certaines associations de protection animale et les caricatures sanglantes du monde de l’élevage et des abattoirs véhiculées par les médias se trouve une autre forme de vérité. Aimer les animaux, c’est aussi (et surtout) participer à rendre leur vie digne, s’assurer que leurs besoins fondamentaux soient bien comblés, et améliorer leur santé. Sans se sentir investi d’une mission divine et sans rien en attendre en retour… De l’amour à sens unique 


Finalement, la question d’aimer ou non les animaux lorsqu’on est vétérinaire devient philosophique si l’on souhaite creuser un peu. On pourrait croire qu’il s’agit d’un prérequis pour exercer ce métier, mais ce n’est pas le premier critère qui convaincra les propriétaires. En pratiquant, on se met à aimer les animaux un peu différemment. Ils peuvent rester une source de joie pour nombreux d’entre nous, mais il existe bien d’autres sources de satisfaction dans son quotidien professionnel. 

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] M. et T. Babot-Jourdan, Vétos-Entraide, Enquête sur la reconversion professionnelle, 2022, [En ligne]. Disponible sur : https://vetos-entraide.com/enquete-de-vetos-entraide-sur-la-reconversion-professionnelle-veterinaire-en-2022/ [Consulté le : 19 janvier 2024] 

[2] G. Pujol, Le Vet Record publie un article qui définit un bon vétérinaire selon les propriétaires d’animaux de compagnie, [En ligne]. Disponible sur :  https://blog.vokare.fr/article-vet-record-un-bon-veterinaire-selon-les-proprietaires/ [Consulté le : 19 janvier 2024]. 

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