Avant même l’obtention de leur diplôme, les étudiants de médecine réfutent toute comparaison, même minime, avec les futurs vétérinaires. Leurs formations respectives sont à ce point étanches qu’aucune passerelle n’existe entre les deux ! Tout comme leurs patients, leur façon d’exercer la médecine (animale ou humaine) diverge. Un véritable mur semble avoir été érigé entre ces deux professions depuis plusieurs décennies…
Pourtant, aux balbutiements de la médecine, lorsque Pasteur découvrait les vaccins, il semblait y avoir une réelle tolérance, ainsi qu’un profond respect entre scientifiques. Désormais, seules les périodes de crise sanitaire mettent en lumière la complémentarité qui existe entre vétérinaires et médecins. Bien que leurs compétences et leurs champs d’action respectifs diffèrent, ces acteurs de santé ont un rôle indispensable dans le domaine de la santé publique. Fort heureusement, certains médecins reconnaissent – à juste titre – que les vétérinaires représentent de véritables alliés, leur rôle s’inscrivant dans le concept " One Health ". Découvrez comment les professionnels de la santé humaine perçoivent les vétérinaires de nos jours, et comment cette image a évolué au fil des siècles.
Un avis bien tranché depuis les bancs d'école
Avant même de nous étendre sur le sujet, quelque peu polémique, de l’opinion des professionnels de santé humaine vis-à-vis des vétérinaires, précisons une chose. Il n’existe aucune passerelle de formation entre la médecine vétérinaire et la médecine humaine. Ce simple constat suffit à souligner le gouffre qui persiste entre ces deux professions. Bien que le concept " One Health " soit largement défendu par l’ensemble des professionnels du milieu, la santé reste scindée entre animaux et humains…
Bien que les deux professions possèdent le titre de " docteur ", les formations pour y accéder sont très différentes. Il faut neuf années d’études après le baccalauréat pour devenir médecin généraliste, entre 10 et 12 années pour un spécialiste [1]. Un vétérinaire acquiert son diplôme au bout de 6 à 8 ans, dont deux en classes préparatoires [2].
" Aujourd’hui, les deux formations sont étanches. Un vétérinaire qui veut devenir médecin doit reprendre le cursus de médecin à zéro ", déplore Pierre Buisson, président du syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral.
En réalité, là où le bât blesse, c’est l’image des vétérinaires pour les médecins… Aux yeux de certains, ils ne sont que de simples " soignants pour animaux ". Leur statut est souvent dévalorisé, par manque de considération. Sauver une vie humaine n’a pas d’égal, personne ne remettra ce principe en question. Pourtant, les compétences des vétérinaires sont souvent méjugées, la compétition persistante entre acteurs de la santé animale et humaine biaisant leur jugement.
Les vétérinaires n’ont pourtant rien à envier aux professionnels de santé humaine. Le concours d’accès aux écoles vétérinaires est tout aussi exigeant que les épreuves qui clôturent la première année de médecine. Réussir les examens dans une filière ou dans l’autre est une véritable performance. En outre, durant leurs études, ces futurs professionnels de santé abordent les mêmes notions. Les matières suivies tout au long du cursus vétérinaire sont pratiquement similaires à celles qui sont étudiées en faculté de médecine. Contrairement aux médecins, dont le savoir se concentre sur l’être humain, les connaissances des vétérinaires s’étendent à plusieurs espèces animales.
Des spécialistes aux compétences bien distinctes
Fin 2011, une proposition de Françoise Tenenbaum, adjointe au maire de Dijon, avait suscité de vives réactions. Pour pallier la pénurie de praticiens dans les déserts médicaux en zone rurale, l’élue avait proposé de faire appel aux vétérinaires. Cette déclaration avait soulevé de nombreuses indignations dans les deux camps (vétérinaires et médecins). Jugée " irréaliste et dangereuse " par les vétérinaires, l’annonce avait également offensé le corps médical, qui avait même cru à une mauvaise blague [3].
" On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine ", avait proclamé Gérard Vignault, président du conseil régional de l’ordre des vétérinaires bourguignon.
Jean-Pierre Mouraux, président du conseil de l’ordre des médecins de la Côte-d’Or, va plus loin dans ses propos. " Ce serait un recul des soins apportés aux gens. On reviendrait au XIXe siècle, alors que l’on est dans une politique de médecine de pointe. " [4]
Il semblerait donc que les médecins et les vétérinaires s’accordent sur une chose : les limites de leurs compétences respectives. Un médecin est formé dès sa première année sur le fonctionnement, la physiologie et l’anatomie du corps humain. Un vétérinaire, en revanche, doit parfaitement maîtriser les soins et les posologies adaptés à chaque espèce animale. Alors, pourquoi considérer un vétérinaire comme un potentiel généraliste ? L’inverse est tout aussi valable : les compétences des vétérinaires dépassent largement celles des médecins, quand il s’agit de soigner un animal.
Allons même plus loin dans notre réflexion. Les spécificités individuelles d’un félin, d’un équidé ou encore d’un caprin n’ont rien à voir. Un vétérinaire qui exerce en milieu rural ne rencontre pas les mêmes cas cliniques qu’un confrère installé dans une grande ville. On ne soigne pas un animal de compagnie comme on traite un bovin allaitant. De la même façon, nous ne pouvons confronter un chirurgien et un ophtalmologiste. Pourquoi, dans ce cas, les professionnels de santé considèreraient-ils les vétérinaires comme leurs égaux ? Cela serait tout simplement absurde ! Les limites interprofessionnelles semblent donc parfaitement dessinées et expliquent le positionnement des médecins vis-à-vis des vétérinaires.
Deux acteurs de la santé publique aux compétences complémentaires
Le concept " One Health " unit étroitement les professionnels de santé : qu’elle soit humaine, animale ou environnementale, la santé forme un tout. Le rôle joué par les vétérinaires dans le domaine de la santé publique est donc primordial. La profession vétérinaire est notamment formée à la connaissance des zoonoses, maladies provenant de nombreuses espèces animales, transmissibles à l’homme. Près de 75 % des 335 maladies émergentes recensées entre 1940 et 2004 sont des zoonoses [5].
Le risque d’épidémies dans le monde animal, accru depuis quelques années, pourrait servir de pont entre les disciplines [6]. La pandémie mondiale de COVID-19 qui sévit depuis fin 2019 en est un parfait exemple. Cette crise sanitaire nous concerne tous, comme le souligne un rapport biacadémique de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France en date du 30 juin 2021 : " COVID-19 et le monde animal, d’une origine encore mystérieuse vers un futur toujours incertain " [7].
Le biologiste Gille Bœuf, ex-président du Muséum national d’Histoire naturelle, milite pour que les corps médical et vétérinaire travaillent dans une synergie vertueuse.
" Séparer les santés humaine et animale n’a aucun sens. Je le dis souvent à mes étudiants : nous avons deux tiers d’ADN codant en commun avec les mouches, et un tiers avec le plancton ! Dans notre sang, il y a du chlore et du sodium parce que nous, animaux, sommes tous issus de l’océan " [8].
Lors de son élection comme président de l’Académie nationale de médecine en 1951, Camille Guérin avait déjà un discours similaire. " Constatons encore qu’il n’y a pas deux médecines : humaine et animale, mais une seule pathologie comparée, de la connaissance de laquelle l’une et l’autre disciplines recueilleront le profit. " [7]
" Ce serait bien qu’on revienne à cette époque et qu’on développe toutes les capacités nouvelles que l’on a en matière de recherche, notamment sur le passage des virus entre les espèces ". Ces propos sont ceux de Jean-Luc Angot, inspecteur général de la Santé publique vétérinaire, président de l’Académie vétérinaire de France. Il ajoute également : " Si tous les médecins, les vétérinaires et les écologues du monde voulaient se donner la main […] Parce qu’une collaboration plus étroite entre les champs de la science pourrait permettre de mieux lutter contre les pandémies — celle en cours, celles à venir. " Une proposition serait d’ailleurs envisagée, dans le but de faciliter cette interdisciplinarité. Elle consisterait à instaurer un tronc commun regroupant l’ensemble de ces sciences [9].
Sébastien Gardon, responsable des formations en sciences humaines et sociales à VetAgro Sup, regrette que les vétérinaires ne soient pas reconnus comme professionnels de santé. " Ils revendiquent l’approche One Health, car ils ont un point de vue global sur les maladies ". [10]. D’après lui, les médecins et les vétérinaires persistent à travailler chacun de leur côté, plutôt qu’ensemble. Henri Bouley, membre fondateur de l’Académie vétérinaire de France, fut également Président de l’Académie nationale de médecine en 1877. Cet érudit avait été reconnu par ses pairs, médecins et vétérinaires ! À VetAgro Sup, un master " One Health " vient de voir le jour, spécialement conçu pour briser ces frontières injustifiées. L’espoir d’une réconciliation renaîtrait-il ?
Inspirons-nous donc du passé pour réfléchir en toute intelligence au positionnement respectif des médecins et des vétérinaires. Gardons à l’esprit que les professionnels de santé, quels qu’ils soient, ont bien plus à s’apporter que ce qu’ils pensent. Les vétérinaires ont l’expérience de la gestion de crise, en raison de leurs compétences en santé publique. Ils représentent de véritables alliés pour leurs " confrères " médecins, une aide précieuse et complémentaire, allant bien au-delà des frontières érigées entre leurs professions.
Cécile Gardino,
Vétérinaire et rédactrice web
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] Onisep, Les études de médecine, [En ligne]. Disponible sur : https://www.onisep.fr/formation/les-principaux-domaines-de-formation/les-etudes-de-sante/les-etudes-de-medecine [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[2] Onisep, Les écoles vétérinaires, [En ligne]. Disponible sur : https://www.onisep.fr/formation/les-principaux-domaines-de-formation/les-ecoles-veterinaires [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[3] Le quotidien du médecin.fr, Remplacer les médecins ruraux par des vétérinaires : l’idée provoque un tollé, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/remplacer-les-medecins-ruraux-par-des-veterinaires-lidee-provoque-un-tolle [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[4] Le monde, Face à la pénurie de médecins, une élue propose de solliciter les vétérinaires, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/15/face-a-la-penurie-de-medecins-une-elue-propose-de-solliciter-les-veterinaires_1618693_3224.html [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[5] Jones K.E., Patel N.G., Levy M.A., Storeygard A., Balk D., Gittleman J.L., et al. Global trends in emerging infectious diseases. Nature. 2008 ; 451:990-993 ;
[6] Le point vétérinaire, Construire des ponts entre médecines humaine et vétérinaire, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lepointveterinaire.fr/actualites/actualites-professionnelles-66/ [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[7] Brugère-Picoux J, Leroy E, Angot JL, Rosolen SG. Santé humaine et santé animale [Human and animal health]. Bull. Acad. Natl. Med. 2022 Jan;206(1) : 138-145 ;
[8] L’obs, Gilles Boeuf : “ Séparer santés humaine et animale n’a plus aucun sens », [En ligne]. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/sante/20220328.OBS56279/gilles-b-uf-separer-les-santes-humaine-et-animale-n-a-plus-aucun-sens.html [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[9] Peuple animal, Il est urgent que les médecins et les vétérinaires s’unissent, [En ligne]. Disponible sur : https://www.peuple-animal.com/article,lecture,2528_il-est-urgent-que-les-medecins-et-les-veterinaires-s-unissent.html [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[10] L’obs, La santé humaine n’existe pas sans la santé animale, [En ligne]. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/sante/20220404.OBS56638/la-sante-humaine-n-existe-pas-sans-la-sante-animale.html [Consulté le 5 juillet 2023].
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