Au cours des siècles, les vétérinaires ont bénéficié d’une évolution de leur statut. De technicien de la santé animale à médecin de famille, les exigences envers ces professionnels ont été amplifiées par l’importance accordée aux animaux de compagnie. À la fin du XIXe siècle, la profession était perçue comme technique, nécessitant compétences et savoir-faire. Cependant, au cours du XXe siècle, l’évolution des considérations envers les animaux a engendré une renommée croissante et une popularité grandissante envers les vétérinaires.
Ils sont devenus incontournables pour les propriétaires, notamment pour ceux dont le compagnon est central dans leur vie (personnes seules, âgées, passionnées…). Pourtant, en parallèle, l’image des vétérinaires est parfois dénigrée du fait de leur activité commerciale, en tant que fournisseur de services. La commercialisation de médicaments, d’aliments ou de divers produits donne parfois l’impression que le vétérinaire est un " commerçant ". La gestion d’une clinique peut finalement placer le vétérinaire dans une position de dirigeant d’entreprise, dont l’intérêt pour la santé animale serait amoindri.
Une clientèle de plus en plus exigeante face à la profession vétérinaire
Les clients des vétérinaires sont extrêmement renseignés, notamment grâce à Internet. Le développement de leurs connaissances entraine une exigence accrue vis-à-vis des professionnels de santé animale. La multitude des informations véhiculées sur l’ensemble des médias donne l’impression que le métier de vétérinaire n’est pas si complexe, voire accessible. L’image donnée au grand public est celle d’une profession idéalisée, assez peu réaliste. Les propriétaires d’animaux sont devenus exigeants, se permettant de juger le travail des professionnels, allant parfois jusqu’à les dénigrer.
Un rapport de force inversé
Alors que les vétérinaires étaient extrêmement respectés pour leur technicité, il semblerait que le rapport de force se soit depuis inversé, au fil des décennies. Tout comme pour les autres professionnels de santé, l’exigence des patients s’est renforcée, notamment avec l’accès aux moteurs de recherche. Désormais, les propriétaires d’animaux sont devenus impatients et pointilleux, leurs attentes étant de plus en plus nombreuses. Ainsi, ils souhaitent se sentir écoutés et traités avec respect dès leur arrivée au cabinet vétérinaire. Leur désir de considération est important. L’attention portée par le personnel doit être à la hauteur du temps qui leur est accordé [1].
Un comportement irréprochable attendu
En outre, les clients des vétérinaires apprécient le professionnalisme de ces derniers, leur politesse et leur courtoisie. À l’inverse, un personnel peu avenant, montrant peu d’intérêt pour leurs animaux, sera très mal vu… Bien que le métier de vétérinaire requière des compétences reconnues, les clients s’attachent surtout au traitement accordé à leurs animaux. Ainsi, les moyens de contention jugés " inutiles " sont très peu tolérés, alors même que certains animaux imprévisibles nécessitent d’être manipulés avec précaution [1].
Par ailleurs, les vétérinaires doivent se rendre disponibles rapidement, sans que l’attente soit trop longue pour leurs clients. Ces derniers doivent proposer des horaires souples, un accès facilité avec parking, voire un site Internet, pour davantage de visibilité. Comme pour un commerçant " classique ", les services ou produits proposés par les professionnels de santé animale doivent être clairement spécifiés. Enfin, l’environnement d’accueil des animaux (salle d’attente, salle de consultation, etc.) est particulièrement étudié par les clients. Ils souhaitent trouver un lieu moderne, confortable, propre, voire inodore [2] !
Un client devenu " roi "
La notion de " client roi " commence à trouver sa place dans la profession vétérinaire. Les mauvais commentaires de clients mécontents sont malheureusement plus fréquents que les remarques élogieuses de propriétaires satisfaits… Une personne mécontente peut nuire à l’image publique d’un vétérinaire, bien que renommé et apprécié, notamment par le biais des réseaux sociaux [3]. De nos jours, le professionnel de santé animale est en situation d’infériorité par rapport à son client. Il peut se retrouver face à des individus agressifs et procéduriers, sans ressource pour répondre à leur mécontentement. Seuls l’amabilité et le professionnalisme constituent des moyens de défense acceptables au sein de la profession [4].
Des conflits quotidiens
La gestion des conflits avec les clients est devenue une problématique quotidienne des vétérinaires. D’après un sondage britannique daté de 2017, près de neuf vétérinaires sur 10 auraient subi des intimidations de la part de leurs clients [5]. En outre, cette étude dévoile que le comportement agressif de certains propriétaires envers ces professionnels est souvent lié au coût du traitement prescrit. En général, les clients deviennent belliqueux dès lors qu’un suivi les contraint à revenir régulièrement au cabinet, l’autre élément déclencheur étant le tarif des soins proposés [6].
Le frein économique déstabilise les rapports entre vétérinaires et clients
Les vétérinaires sont fréquemment accusés d’être des " individus guidés par l’appât du gain ". Ainsi, 90 % des vétérinaires sondés dans l’étude britannique ont déjà été critiqués pour leurs tarifs. Par ailleurs, 98 % d’entre eux ont été contraints de renoncer à leurs honoraires ou d’accepter un paiement différé [6]. La pression psychologique à laquelle sont soumis les vétérinaires est parfois telle, que les soins apportés ne sont pas à la hauteur du diagnostic établi… " 1/3 des praticiens indiquent ne pas offrir le diagnostic ni le traitement idéal à leurs patients " du fait de limitations économiques. Ces praticiens iraient même jusqu’à modifier leur avis médical en se basant sur une estimation du budget de leurs clients. Fait intéressant, " 74 % des praticiens signalent qu’une aide financière a amélioré leur capacité à prodiguer les soins médicaux " pour leurs patients [7].
L'importance de la relation client dans la profession vétérinaire
Les propriétaires d’animaux estiment qu’un " bon vétérinaire " devrait posséder les six compétences suivantes [8] :
-
relation client ;
-
professionnalisme ;
-
communication ;
-
résolution de problèmes et processus de décision ;
-
engagement pour le bien-être animal ;
-
engagement dans son métier et pour la qualité.
Les vétérinaires cherchent à fidéliser leurs clients afin d’assurer un suivi et une continuité de soin pour l’animal [9]. En appelant ses clients par leur nom et en demandant des nouvelles de leur animal, le vétérinaire crée de véritables liens sociaux avec eux. D’après une étude américaine, les indicateurs d’une forte relation propriétaire-vétérinaire sont les suivants [10] :
-
échange d’informations et de recommandations pour prendre soin de son animal ;
-
bonne communication (explications et détails sur les pathologies et les soins) ;
-
perception que le vétérinaire ne vend que des choses dont l’animal a besoin ;
-
nombreuses interactions avec les patients.
L’incidence de ce constat est sans appel sur la satisfaction des clients vis-à-vis de leur vétérinaire. Ainsi, les clients qui expriment un mécontentement et qui ont été écoutés sont les plus fidèles. Cela s’explique par le fait qu’ils sont soulagés d’avoir pu s’exprimer, d’avoir été entendus et pris en compte, même si leur problème n’a pas été résolu. Par ailleurs, presque un tiers des clients préfèreraient un vétérinaire agréable plutôt qu’un confrère plus compétent. L’amabilité et la qualité de la relation humaine dont font preuve les vétérinaires sembleraient donc primordiales pour les clients [11].
Les clients satisfaits sont particulièrement fidèles et reconnaissants envers les professionnels de santé animale. 89 % des clients seraient prêts à conserver le vétérinaire avec lequel ils entretiennent un lien fort, même si celui-ci est plus éloigné ou plus cher qu’un concurrent. Cette observation va même plus loin, en montrant l’importance d’une bonne relation client pour les animaux soignés. Dès lors que les soins ou actes sont correctement expliqués et recommandés par le vétérinaire, les propriétaires sont plus enclins à traiter leur animal. Un vétérinaire possédant de bonnes capacités de communication sera plus convaincant pour le client, ce qui augmenterait l’observance des soins de 40 % [10].
En conclusion, les vétérinaires font face à des défis complexes dans leur relation avec leurs clients. Alors qu’ils ont gagné en renommée et en popularité au fil des décennies, ils doivent désormais composer avec une clientèle informée et exigeante. De plus, l’aspect commercial de la profession peut parfois ternir l’image des vétérinaires, les faisant passer pour de simples commerçants. En plus de la gestion des attentes des clients et de l’importance d’établir une relation de confiance, les vétérinaires doivent composer avec la pression économique.
Les vétérinaires sont régulièrement tiraillés entre leur désir d’apporter des soins de qualité aux patients, et l’impossibilité des clients de prendre en charge les frais. Le budget semblerait donc représenter un facteur limitant dans la qualité du traitement proposé. Ainsi, certaines décisions d’euthanasie exclusivement basées sur des motifs économiques se rencontrent de plus en plus fréquemment… Les propriétaires estiment que la question des coûts ne devrait pas se poser dans le cadre de cette profession, estimant que le bien-être animal prévaut. Paradoxalement, l’argent est central pour les clients. Ces derniers seraient insatisfaits des frais de santé annoncés par les vétérinaires. En réalité, les clients " attendent du vétérinaire une transparence et une annonce du budget bien plus tôt pendant la consultation ", estimant que " les coûts seraient bien plus élevés que ceux attendus " [7].
Cécile Gardino,
Vétérinaire et rédactrice web
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] Coates C.R., 2012. Veterinary practice management. CABI ;
[2] Moreau P. et Nap R.C., 2011. L’essentiel du Management Vétérinaire. Pfizer Santé Animale ;
[3] Wittke G., 2014. Se préparer à la relation client. 2014. Cours ENVT. Relation client ;
[4] Alis D., 2010. Le travail émotionnel des salariés en contact avec le public : Prévenir les risques de dissonance. XXIe congrès de l’AGRH, Rennes, Saint-Malo. 2010. pp. 17–19 ;
[5] BVA, 9 out of 10 vets report intimidation from clients, [En ligne]. Disponible sur: https://www.bva.co.uk/news-and-blog/news-article/9-out-of-10-vets-report-intimidation-from-clients/ [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[6] Le point vétérinaire, Les vétérinaires sont régulièrement menacés par leurs clients, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lepointveterinaire.fr/actualites/actualites-professionnelles/les-veterinaires-sont-regulierement-menaces-par-leurs-clients.html [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[7] Vet4care, Entre désir et désillusions : les limitations économiques des clients, [En ligne]. Disponible sur : https://vet4care.com/cout-soins-veterinaire-desillusion-accompagnement-changement/ [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[8] Vokare, Le Vet Record publie un article qui définit un bon vétérinaire selon les propriétaires d’animaux de compagnie, [En ligne]. Disponible sur : https://blog.vokare.fr/article-vet-record-un-bon-veterinaire-selon-les-proprietaires/ [Consulté le 5 juillet 2023] ;
[9] Hamood Wendy J., Chur-Hansen Anna et Mcarthur Michelle L., 2014. A qualitative study to explore communication skills in veterinary medical education. International Journal of Medical Education. 11 octobre 2014. Vol. 5, pp. 193‑198 ;
[10] Lue T.W., Pantenburg D.P. et Crawford P.M., 2008. Impact of the owner-pet and client-veterinarian bond on the care that pets receive. Journal of the American Veterinary Medical Association. 2008. Vol. 232, n°4, pp. 531-540 ;
[11] Koleilat N. et Tuetey R., 2010. L’intérêt du marketing des services en clientèle vétérinaire, étude des attentes clients et fiches techniques. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. École Nationale Vétérinaire d’Alfort.