NDLR : Cette tribune n'engage que son auteur et a été écrite en dehors de tout conflit d'intérêt.
Avec une croissance de 4 à 5 % par an depuis 20 ans et un chiffre d’affaires annuel de 4,3 milliards d’euros (source Xerfi), le marché de la santé animale français attise les convoitises.
Depuis 2018, plusieurs groupes étrangers ont investi le secteur comme IVC Evidensia, AniCura, VetPartners...
Les groupes français ne sont pas en reste, avec Sevetys, qui possède à ce jour plus de 150 cliniques vétérinaires en France ou encore Univet, MonVeto, Qovetia...
Certains de ces groupes avaient du mal à répondre aux exigences du code de Déontologie français, qui impose que la majorité du capital social soit détenue par des vétérinaires, et qu'il n'y ait pas d’actionnaires “ interdits ” (fournisseurs de services, produits ou matériels utilisés pour soigner les animaux).
C’est dans ce cadre que l’Ordre des Vétérinaires avait prononcé la radiation de certaines structures vétérinaires qui ne respectaient pas - selon lui - ces conditions. À la suite de ces décisions, les sociétés s’étaient pourvues en cassation auprès du Conseil d’État. La décision fût longue à être rendue - plusieurs années - mais ce lundi 10 juillet, le Conseil d’État a suivi les conclusions du rapporteur public et tranché en faveur de l’Ordre pour la question de la détention du capital social par les vétérinaires exerçants ; pour les actionnaires interdits, il faudra a priori que la détention soit plus directe. En l’espèce, les participations de Nestlé et Mars, de manière indirecte dans Evidensia et Anicura ne semblent pas poser problème.
Des réseaux de cliniques de plus en plus nombreux
Sans aucun doute, les réseaux de cliniques vont poursuivre leur développement, surfant à la fois sur l’opportunité pour les vétérinaires de céder leurs entreprises mais également sur les nouvelles aspirations professionnelles des jeunes vétérinaires ; la majorité des jeunes diplômés exigeant un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Terminées les cadences infernales, les gardes de nuit qui s'enchaînent, les semaines de 60h que réalisaient sans broncher (ou presque !) leurs aînés…
Les groupes l’ont bien compris et tentent de proposer des postes en adéquation avec ces aspirations : salariat, plateaux techniques complets, formations et accompagnement au quotidien. La promesse des groupes est de recentrer les vétérinaires sur leur cœur de métier de soignant, en les délestant de toute la partie “ administrative ”.
En 2023, on estime que quasiment 20 % des établissements appartiennent à un réseau de cliniques. Les pronostics - si on se réfère à ce qui a eu lieu chez nos voisins anglo-saxons et outre-Atlantique ces 20 dernières années - sont que, à horizon 2027, 50 % des cliniques vétérinaires auront rejoint un groupe.
Un secteur confronté à une pénurie de professionnels
Malgré cette évolution, le secteur est en tension. Avec 13 millions de chats et 7 millions de chiens, le marché est en pleine croissance. Aujourd’hui, 52 % des foyers français détiennent un animal de compagnie ! Outre le nombre, la relation même à l’animal a changé. Considéré comme un membre de la famille, l’animal de compagnie fait l’objet de toutes les attentions, notamment en matière de soins médicaux.
Comme dans la santé humaine, la santé animale souffre d’une pénurie de professionnels. Depuis 20 ans, le besoin en vétérinaires ne cesse d’augmenter. Les autorités et instances professionnelles l’ont compris et ont mis en place des mesures afin d'accroître le nombre de diplômés ; mais former un vétérinaire prend du temps. Par ailleurs, ce métier passion engendre parfois des déceptions : il peut être perçu comme difficile ; les animaux ne sont pas toujours coopérants, les propriétaires sont parfois très exigeants sur les soins et les considèrent souvent trop chers. Des situations qui conduisent de plus en plus de jeunes vétérinaires à changer de voie rapidement après leur sortie d’école.
La profession est donc en pleine mutation. Dans ce contexte, les réseaux de cliniques constituent-ils une réponse adéquate ?
Si le développement en réseaux semble inéluctable, il est important que le droit soit clairement établi et respecté, et que les règles soient les mêmes pour tous.
Dans cette optique, il est heureux que le Conseil d’État ait enfin rendu sa décision, venant confirmer les règles clairement établies par le code rural de la Pêche et Maritime.
L’enjeu pour la profession, et plus encore pour les animaux et leurs familles, est que la pratique vétérinaire reste indépendante ! On ne peut, en effet, exercer la médecine vétérinaire comme un simple commerce - sur ce sujet le code de déontologie est très explicite.
Les réseaux peuvent apporter de nombreux avantages, en permettant aux vétérinaires qui le souhaitent d’exercer dans des conditions moins engageantes, avec moins de responsabilités, moins de pression et moins de stress que ne peuvent parfois générer un exercice plus traditionnel, plus libéral mais qui convient encore (et heureusement) à de nombreux vétérinaires !
Au sein de la profession, le débat est intense entre les partisans des “ indépendants ” et ceux des “ réseaux ”, s’apparentant, parfois, à une nouvelle querelle des anciens et des modernes.
Mais chacun doit pouvoir être libre d’exercer comme il l’entend, et dresser les uns contre les autres est vain. Assurons-nous juste que des garde-fous soient édictés et respectés. À la suite des décisions récentes du Conseil d’État, ces règles semblent définitivement et clairement établies.
Dans ce cadre désormais, chacun pourra exercer son métier en parfaite harmonie, pour le plus grand bien des animaux, de leurs familles et des vétérinaires ! Comme le rappelle le code de déontologie * : “ L'exercice de l'art vétérinaire est personnel. Chaque vétérinaire est responsable de ses décisions et de ses actes. ”
Christophe Le Dref,
Vétérinaire, co-fondateur et CEO de Dr Milou
*Article R242-33-I du Code de déontologie