Qui n’a jamais envié le vétérinaire de zoo capable de faire une prise de sang à un lion vigile sans contrainte alors que nous, nous nous débattons parfois avec un chat de 4kg ? Le " medical training " est un terme qui fait rêver certains d’entre nous, tandis que d’autres trouvent cela utopiste, et que d’autres encore n’en ont jamais entendu parler. Finalement, qu’est-ce qui se cache sous ce terme et quelle est son utilité et son applicabilité pour les vétérinaires ?
De plus en plus de personnes, vétérinaires, ASV et particuliers, connaissent le terme de " medical training ". En effet, 96% des étudiants de l’ENVT en avaient entendu parler en 2018, et 93,9% étaient intéressés pour approfondir le sujet (étude interne). Ces données à l’ENVT ont probablement été influencées par le fait qu’un TP de 2h dédié au medical training figure au programme des étudiants de 3e année (ancienne A2) depuis 2017. C’est un bon point pour le medical training, mais qu’en est-il des approches de réduction du stress ? Là, les choses se compliquent. Si les termes sont évidents à comprendre, mais ce qui se cache derrière ce concept reste très flou. Pour commencer, il n’existe aucun terme spécifique dédié à ce concept. On entend parfois , " Sans Stress ", " Animal Friendly ", termes empruntés à nos collègues de l’autre côté de l’Atlantique, et pour cause… Ces approches sont bien plus répandues là-bas.
Medical training et approches de réduction du stress, de quoi parle-t-on ?
A l’usage, lorsque l’on parle d’approches de réduction du stress, on se rend compte que les gens pensent inévitablement au medical training, alors que ce sont deux choses bien distinctes.
En effet, dans le medical training, comme son nom l’indique, il y a " training ". Cela implique donc un entrainement de l’animal, et comme tout entrainement, celui-ci nécessite du temps… et un bon entraineur. On va ainsi apprendre à l’animal à se positionner ou à accepter un acte de soin par exemple.
A l’inverse, les approches de réduction du stress ne nécessitent aucun entrainement de l’animal. Il s’agit d’un ensemble de pratiques dédiées à être applicables pour n’importe quel animal, dans n’importe quelle structure et qui ont pour but de mettre l’animal dans un état émotionnel calme et relaxé, afin d’accepter plus facilement les soins qui lui seront prodigués [1, 2]. L’idée du concept est de se focaliser sur l’émotion, et « quand l’émotion va, le comportement suivra. ».
Bien entendu, ces deux concepts sont inextricablement liés, mais il est important de faire la différence, car si le medical training peut sauver des vies, il est difficile à mettre en place par le vétérinaire, alors que les approches de réductions du stress ne peuvent précisément être mises en place par personne d’autre que le vétérinaire et son équipe. Dans un certain nombre de cas, elles permettent même de ne jamais avoir besoin de medical training.
Pour faire simple, on peut dire que les approches de réduction du stress sont au medical training ce qu’un vaccin CHP est à une parvovirose : infiniment plus simple et moins couteux !
Pour mieux se représenter le lien et les différences entre ces approches, on peut les schématiser ainsi :
Vétérinaires et animaux : un amour non réciproque ?
Les propriétaires d’animaux se soucient de plus en plus du bien-être de leur animal et les approches de réductions du stress et de medical training sont de plus en plus connues et demandées. Aux États-Unis, une page Facebook dédiée à ce sujet est suivie par 50.000 personnes et le groupe dédié aux vétérinaires appliquant ces approches regroupe 10.000 membres.
En France, une initiative similaire a vu le jour depuis quelques années et regroupe actuellement près de 10.000 particuliers et professionnels. Sur ce groupe, un des motifs de conversation le plus récurrent est la recherche d’un vétérinaire pratiquant ces méthodes afin d’améliorer l’expérience de leur animal au cours des soins.
L’image du vétérinaire " aimant les animaux " s’oppose fréquemment et très schématiquement au vétérinaire " aimant l’argent ", sans beaucoup de nuances du la part du grand public. En 2023, dans un sondage interne au sein de l’ENVT, 86% des étudiants ont répondu qu’une de leurs motivations principales était " aimer les animaux ", 70% étaient motivés par " aimer la médecine ", seulement 11% ont répondu être motivés par la rémunération et 10% disent être motivés par le contact avec le monde de l’élevage.
La motivation " d’aimer les animaux " semble donc majoritaire, malgré les critiques fréquentes des clients. La prise en compte explicitée du bien-être physique et mental de l’animal est très fréquemment bien accueillie par les propriétaires et donne facilement l’image d’un vétérinaire " qui aime les animaux ", quand-bien même cela représente un surcoût. A l’inverse, on peut comprendre qu’un client, qui ne connait pas nécessairement les contraintes vécues par le vétérinaire, ait du mal à se représenter un vétérinaire " qui aime les animaux " lorsque celui-ci pratique un acte qui fait peur ou mal à un patient sans en sembler affecté.
Mais en réalité… A quel point en est-t-il affecté ?
La contagion du mal-être animal, on en parle ?
Si 86% des vétérinaires pratiquent ce métier car ils aiment les animaux, peut-on réellement penser qu’il est anodin d’observer, chaque jour, que nous leur faisons peur et mal, qu’ils mordent, griffent, s’aplatissent au sol, défèquent, urinent ou fuient notre approche, même lorsque nous sommes animés des meilleures intentions ? L’image qui nous est renvoyée en permanence est celle d’un tortionnaire, pas celle d’un sauveteur. Les remerciements de l’animal se manifestent le plus souvent par un coup de griffe ou une cicatrice de morsure (48% des vétérinaires sont mordus au moins une fois par an [3]). Alors, si à ceux-ci on ajoute les paroles souvent injustes de certains propriétaires, que reste-il au fil des ans, à part une conviction personnelle qui s’étiole ? Où est passé le plaisir d’avoir soigné un animal ?
Comment cette conviction personnelle peut-elle survivre, lorsque nos actes ne reflètent pas notre volonté ? Nous savons que cet acte, même s’il est nécessaire, va provoquer peur et douleur à notre patient, mais, comme il est nécessaire, nous devons le faire. Cette situation schizophrène s’approche douloureusement de la dissonance cognitive. Sans parler du stress quotidien que vit chaque praticien lorsque, dans le planning du jour, il lit des choses comme " Contrôle otite – TYSON, Malinois 3 ans, 40kg – attention agressif " suivi de " Suspicion gingivite – MINOU, chat 6 ans, 5kg – sauvage non manipulable ".
Quelle solution ? Il y en a deux : stopper ces actes - certains choisiront de se reconvertir - ou changer sa pensée et ne rien changer à ses actes - finalement, cela ne fait pas si peur ni si mal, non L’un contribue à la pénurie vétérinaire, quand l’autre renie ses valeurs et semble un terreau parfait pour la dépression ou le burn out.
En réalité, il existe une 3ème option : changer ces actes, plutôt que de les stopper. Inclure le bien-être de l’animal dans la balance bénéfice-risque. C’est précisément ce sujet qu’abordent les approches de réduction du stress.
Tout comme la prise en charge de la douleur à pris son essor cette dernière décennie, la prise en charge du stress est l’étape suivante évidente, l’animal étant maintenant officiellement un " être vivant doué de sensibilité " depuis 2015. Et si l’on ne le fait pas pour l’animal, il semble logique de le faire pour éviter l’ensemble des implications physiologiques négatives provoquées par le stress chez nos patients (et chez nous-même…).
Les approches de réduction du stress et le recrutement du personnel
Comme nous l’avons déjà dit, 86% des étudiants de l’ENVT en 2023 indiquent s’être tournés vers le métier de vétérinaire car ils aiment les animaux, d’avantage que la médecine ou l’argent. Ces étudiants étant les futurs employés des structures actuelles, si l’on souhaite les recruter ET les fidéliser, l’argument qui va différencier notre structure de celles des autres est-il le plateau technique, la rémunération… ou l’opportunité de pratiquer son métier auprès d’animaux heureux de venir voir son équipe de soins et coopératifs avec ceux-ci ?
De la même manière que les membres du groupe Facebook francophone cherchent désespérément des vétérinaires tournés vers cette approche, quitte à faire des heures de routes pour trouver un vétérinaire dans cette " niche", on peut supposer que cette démarcation constituerait une marque employeur remarquable pour la structure vétérinaire aux yeux des jeunes vétérinaires. En effet, le plateau technique et la rémunération sont fréquemment décrits dans les annonces de recrutement vétérinaire, mais rarement un mot sur les moyens mis en œuvre pour prendre en charge le bien-être des animaux… Et par extension celui du personnel. Lorsque l’on entend qu’aux Etats-Unis, la moyenne de conservation des technicien(ne)s vétérinaires serait de 6 mois pour une clinique vétérinaire classique contre 3 ans pour une clinique vétérinaire pratiquant une approche globale de réduction du stress, on peut supposer que c’est un argument qui peut changer la donne.
Finalement, même si le medical training commence à se faire connaitre, ce sont les approches de réduction du stress qui répondent le mieux aux challenges rencontrés au quotidien par les vétérinaires. De nombreuses pratiques simples peuvent être mises en place mais ces pratiques sont tristement méconnues. Penser à réduire le stress des animaux et augmenter leur bien-être, c’est le rendre beaucoup moins enclin à vous agresser, plus facile à soigner, cela vous valorise aux yeux du propriétaire, nourrit vos valeurs profondes et attire vos futurs collaborateurs. Songer à pratiquer des approches de réduction du stress, finalement, c’est aussi s’occuper du bien-être… du vétérinaire.
Ciska Girault,
Vétérinaire, titulaire du CEAV en éthologie clinique et appliquée, présidente de PawLoVet
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] Edwards, P. T., Smith, B. P., McArthur, M. L., & Hazel, S. J. (2019). Fearful fido: Investigating dog experience in the veterinary context in an effort to reduce distress. Applied Animal Behaviour Science, 213, 14-25.
[2] Herron, M. E., & Shreyer, T. (2014). The pet-friendly veterinary practice: a guide for practitioners. Veterinary Clinics: Small Animal Practice, 44(3), 451-481.
[3] Fritschi, L., Day, L., Shirangi, A., Robertson, I., Lucas, M., & Vizard, A. (2006). Injury in Australian veterinarians. Occupational medicine, 56(3), 199-203.