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Pendant des années, le deuil chez l’enfant n’a pas été considéré… Alors, que penser du deuil animalier ? Les parents, qui doivent également gérer leur propre chagrin, peuvent se sentir démunis et manquer de ressources pour préparer et accompagner au mieux leur(s) enfant(s) pendant ces moments douloureux. En se tournant vers nous, vétérinaires, ils trouveront des interlocuteurs privilégiés qui pourront les aider à traverser cette épreuve avec bienveillance.
Le deuil animalier chez l'enfant, que faut-il savoir ?
Comme le rappelait un de nos précédents articles sur le sujet, 82% des propriétaires considèrent que leur animal fait partie intégrante de leur famille. Pour l’enfant, il est un compagnon de jeux, parfois un ami, voire un confident. Il est un point de repère, une présence rassurante et apaisante. Une partie des souvenirs de l’enfant se construit autour de l’animal, et son départ est inévitablement une expérience négative.
Très tôt dans son développement, l’enfant est confronté à l’idée de la mort. En jouant dehors, il peut observer celle de petits insectes, les feuilles tomber et se flétrir ou les fleurs se faner. En voiture, il peut être amené à croiser le chemin d’un animal écrasé. Cependant, la compréhension qu’il est capable d’avoir de ce phénomène n’est pas la même selon son âge et son vécu.
- Le concept de la mort s’installe dans l’esprit du jeune enfant aux alentours de l’âge de 3 ans, quand le langage se développe. Entre 3 et 5 ans, l’enfant vit dans le moment présent, et la mort représente surtout une séparation pour lui. Cela explique certaines réactions parfois déroutantes : l’enfant s’attend à voir revenir son animal et peut demander à plusieurs reprises quand il le reverra. Il ne s’agit bien entendu pas d’une forme de provocation de sa part mais bien de l’expression d’un niveau de compréhension différent du nôtre.
- C’est à partir de 5 ans que le côté irréversible de la mort est compris et accepté. La confrontation avec celle-ci peut alors faire surgir des peurs, ou des difficultés avec le sommeil (cauchemars, refus d’aller se coucher…). À cet âge-là, les explications et l’accompagnement autour de la mort et du deuil sont particulièrement importants.
- Puis, progressivement, entre 9 et 12 ans, l’enfant comprend que la mort est un phénomène universel, et inéluctable. Il va alors se poser beaucoup de questions : « Pourquoi meurt-on ? » « Que peut-on faire pour l’éviter ? » « Que se passe-t-il quand on meurt ? » Face au deuil, il peut manifester de fortes émotions : tristesse, colère, chagrin…
- Enfin, l’adolescent, qui traverse une période délicate et de transition, pleine d’ambivalence, peut éprouver face au deuil un besoin intense de protection mais également un réel besoin de prise d’indépendance.
À la suite de la perte de son animal, quel que soit son niveau de compréhension de la mort, et même si ses réactions peuvent nous surprendre ou nous déstabiliser, l’enfant traverse donc bien un deuil, au même titre que ses parents. En fonction de son âge et de ses liens d’attachement avec le compagnon perdu, le processus sera plus ou moins difficile à traverser. Une chose est néanmoins certaine : l’enfant a besoin d’être préparé et accompagné !
Inclure les enfants dès la phase de préparation au deuil, pourquoi est-ce important ?
Nous vous en parlions dans l’un de nos articles : en tant qu’équipe soignante de l’animal, notre rôle dans l’accompagnement du deuil animalier est essentiel. Que la mort frappe brutalement ou qu’elle puisse être anticipée, les familles apprécient bien souvent d’avoir un temps d’échange avec leur vétérinaire pour discuter de ce sujet douloureux. Dans de nombreux cas, nous pouvons nous permettre de prendre le temps d’aborder la question de la fin de vie en consultation. En effet, l’euthanasie est rarement une urgence absolue, et l’arsenal thérapeutique dont nous disposons nous permet de soulager efficacement la souffrance animale le temps que les décisions soient prises.
Ce temps de préparation peut être l’occasion de réunir les membres de la famille, en incluant les enfants s’ils le désirent et avec l’accord de leurs parents, bien évidemment. Le discours doit alors être adapté, mais il est conseillé d’utiliser des mots clairs, de présenter la situation factuellement, et d’éviter les expressions pouvant prêter à confusion : « on va l’endormir » ou « on lui fera une piqûre pour qu’il ne souffre plus »... On peut aussi anticiper les questions des enfants en leur expliquant rapidement le processus d’euthanasie, mais également l’après, notamment concernant le devenir du corps. Pour ce faire, il est important de s’adresser aux enfants directement. N’oublions pas de les écouter, d’observer leur langage non verbal, de laisser la place à leurs émotions et de leur laisser le temps de nous poser leurs questions.
Nous pouvons par ailleurs proposer à la famille de mettre en place des rituels, auxquels les enfants pourront participer. Qu’ils prennent la forme de gestes ou de paroles, ces rituels permettront de mieux accompagner l’étape de séparation. Cela peut être une dernière caresse, un dessin mais également un recueillement autour de photographies ou encore une dispersion des cendres de l’animal dans un endroit symbolique.
Notons qu’il est important que les parents soient bien les décisionnaires concernant l’euthanasie mais aussi de la gestion du corps de l’animal, et qu’ils ne fassent pas porter ce lourd fardeau sur les épaules de leur(s) enfant(s). Cependant, le fait de les intégrer dans ce temps de préparation et dans ces choix permet de ne pas les exclure tout en tenant compte de leurs sentiments, et de leur relation avec leur compagnon. Le processus de deuil de toute la famille sera facilité si le(s) enfant(s) ne sont pas tenus à l’écart.
Au-delà des murs de la structure vétérinaire, quels conseils pouvons-nous donner ?
Nos ASV et nous-mêmes ne sommes pas les seuls accompagnants du deuil animalier. Comme nous l’avons déjà abordé, il est important de savoir répartir la charge qui pèse sur nos épaules autour de la mort des animaux. Quand les propriétaires se tournent vers nous en demande de conseils, il peut être bon de leur rappeler que leur(s) enfant(s) vont eux aussi traverser une période de deuil, particulièrement délicate si la relation avec leur animal était forte. Ainsi, on peut recommander aux parents d’engager un dialogue avec leur(s) enfant(s) et de leur offrir la possibilité d’exprimer leurs sentiments, tout en acceptant de montrer les leurs. Pour qu’un enfant puisse faire son deuil, il faut que ses parents y parviennent aussi.
Souvent, nous avons tendance à présumer des sentiments et des pensées des enfants, mais c’est méconnaître le vaste monde intérieur qui les habite. Il ne faut pas avoir peur de leur parler de la mort, bien avant même qu’elle ne croise leur route.
Il est important de libérer la parole, sans attendre avant d’évoquer le sujet. On peut se référer à l’animal décédé en utilisant des mots simples et sans confusion possible. Le silence peut représenter un traumatisme supplémentaire, et dissimuler la mort n’est jamais une bonne idée. Rapidement, on peut également s’assurer d’enlever toute culpabilité potentielle à l’enfant. En effet, même s’ils ne l’expriment pas nécessairement, il est fréquent que les enfants se sentent responsables de ce qui est arrivé.
Afin de faciliter la mise en place du dialogue, on peut conseiller aux parents de s’appuyer sur des supports adaptés, conçus dans ce but tels que des livres illustrés (comme " Mon amie pour la vie " ou encore " Au revoir blaireau "), ou bien des podcasts (" Au pays d’Eden ", par exemple). Il est également possible de fournir des supports proposés par les pompes funèbres ou même créés par nos soins.
Enfin, on peut rappeler aux parents l’importance d’associer le(s) enfant(s) aux rites funéraires et aux moments de recueillement. L’enfant a un grand besoin d’amour et de protection pendant la période de deuil. Notons que si son chagrin semble toujours aussi intense après huit semaines, il pourrait être utile de suggérer en douceur le recours à une aide extérieure (médecin, psychologue).
En quoi est-ce utile pour une équipe soignante d'être préparée au deuil des enfants ?
Accompagner un animal pendant toutes les étapes de sa vie fait partie intégrante de notre métier. Les discussions autour de la fin de vie et le difficile acte d’euthanasie font partie des situations auxquelles tout praticien est confronté. Même si cet acte est maîtrisé, chaque situation est différente et certaines requièrent un peu d’adaptabilité. Pour l’équipe, être prête à accompagner le deuil des enfants, c’est pouvoir anticiper les différentes questions et réactions des parents et de leur(s) enfant(s) afin que l’expérience soit la plus douce possible pour tous. Mais c’est aussi être mieux protégé soi-même des chocs émotionnels que peuvent représenter ces situations.
En effet, la présence d’enfants peut s’accompagner de situations inattendues, voire inconfortables, si celles-ci ne sont pas anticipées par les équipes vétérinaires. Agitation, remarques déstabilisantes, curiosité mettant mal à l’aise, bruit, parfois même mise en danger (il n’est pas rare qu’un animal âgé qui souffre soit moins patient et devienne plus agressif). Se préparer, et préparer son équipe en validant quelques mesures concrètes, est un moyen de faire face à tout type de situations. Â ce sujet, partager son expérience entre collègues (nombre d’entre nous est d’ailleurs déjà parent !) est un moyen efficace de repérer les écueils et de limiter les maladresses.
Cela commence, lorsque c’est possible, par une organisation du planning. Hors cas d’urgence, l’euthanasie peut être planifiée : si possible sur une période calme de la journée, et de manière lisible sur le planning afin que chacun adapte son attitude. Les parents peuvent vous demander conseil concernant la pertinence de laisser leur(s) enfant(s) assister à l’acte d’euthanasie ou non. S’il n’existe pas de réponse universelle, on peut leur suggérer de laisser cette possibilité aux enfants les plus grands et en âge d’exprimer eux-mêmes cette volonté, le plus souvent à partir de 9 ou 10 ans.
Si les enfants ne peuvent être gardés, s’ils refusent d’assister à l’euthanasie ou s’ils sont trop petits pour rester jusqu’au bout, on peut prévoir de leur trouver une occupation dans une pièce au calme (coloriages, musique…). On peut aussi leur glisser un mot rassurant, alors même que les parents sont souvent trop émus pour pouvoir leur accorder toute leur attention.
Accompagner toute une famille autour de la fin de vie de son animal est toujours un moment délicat et chargé d’émotions. Les parents, souvent déjà très peinés et bouleversés, peuvent manquer de repères sur la façon d’aborder le sujet du deuil animalier avec leur(s) enfant(s). C’est notre rôle de vétérinaire et celui de nos équipes de les préparer et de leur offrir un temps privilégié de discussion et de présence rassurante. Lever le tabou autour de la mort auprès des enfants est un moyen de faciliter le processus de deuil et d’acceptation.
Astrid de Boissière,
Vétérinaire
Publi-rédactionnel #TÉMAplume, Esthima
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] The Ohio State University, Veterinary Medical Center. Helping Children Cope with the Serious Illness or Death of a Companion Animal [En ligne]. Disponible sur : https://vet.osu.edu/vmc/sites/default/files/files/companion/HTB/Helping.pdf [Consulté le : 1 mai 2023] ;
[2] Glorion, F. (2003). Accompagner l'enfant en deuil. Laennec, 51, 21-33. [En ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/lae.031.0021 [Consulté le : 1 mai 2023] ;
[3] Reboul, P. (2020). La place des rituels dans le processus du deuil. Jusqu’à la mort accompagner la vie, 140, 5-7. [En ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/jalmalv.140.0005 [Consulté le : 1 mai 2023] ;
[4] Esthima x Contes audio. Au pays d’Eden - Aider son enfant à surmonter le deuil de son animal [podcast]. 12 min. Disponible sur : https://www.esthima.fr/podcast-au-pays-eden [Consulté le : 1 mai 2023].
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