Comme l’explique très justement notre consœur, Daphnée Ducy Froment, dans sa thèse [1], les professions libérales tiennent une position singulière dans nos sociétés. Indépendantes de tout courant politique, économique ou sociétal, ces métiers piliers permettent de créer du lien entre les humains, de manière directe, personnalisée et privilégiée.
Or, si l’indépendance confère une grande liberté d’action, elle engage également à un certain nombre de responsabilités (encore une preuve, s’il en fallait, que Spider-Man est un des plus grands penseurs de notre époque). Être libre de ses décisions et de ses actes implique d’en assumer pleinement les conséquences. Les notions de liberté et de responsabilité sont alors de facto indissociables.
Néanmoins, la charge de la responsabilité diffère selon les cultures, plus ou moins procédurières, dans lesquelles on évolue. Les jeunes diplômés vétérinaires français, contrairement à leurs homologues américains ou italiens, ont certainement une idée plus édulcorée de la responsabilité qui leur incombe en tant que professionnels. Bien plus morale que juridique, ce sont davantage l’engagement personnel, le souci de bien faire et le devoir déontologique [2] qui priment sur les articles du Code Civil.
Ainsi, les plus inexpérimentés peuvent se heurter, souvent avec douleur et un certain amateurisme, aux premiers conflits inhérents à notre métier de contact. Et si l’on apprend à les encaisser et à les gérer le plus souvent à l’amiable, il est important de savoir de quoi nous sommes responsables légalement et ce que nous devons faire en cas de litige sérieux.
Qu’est-ce-que la Responsabilité Civile Professionnelle (RCP) ?
Parmi les différentes responsabilités auxquelles est soumis un professionnel (civile, pénale et parfois ordinale), sa responsabilité civile est engagée lors de rapports conflictuels opposant deux individus dans le cadre de son exercice professionnel.
Il existe alors un contrat d’assurance, la RCP, qui permet de couvrir les risques liés à son activité. Lors de faute, de conseil inadapté, de négligence voire de violation du droit à l’image, l’assureur prend en charge l’indemnisation financière du préjudice subi par la victime. Ce dernier peut être corporel lors de blessure par exemple, matériel ou bien immatériel en cas de perte de bénéfice. Toute personne, liée ou non à l’activité en elle-même peut en bénéficier (du client au salarié sans oublier les fournisseurs) du moment que l’incident a eu lieu lors de l’exécution même des prestations.
La RCP est-elle obligatoire ?
Les vétérinaires, au même titre que d’autres professions réglementées, ont l’obligation de contracter une RCP en raison des risques inhérents à leur activité. Il en est de même pour les métiers de conseil, ceux du bâtiment ou encore les entreprises de transport.
Au-delà de l’obligation juridique et ordinale, travailler sous le couvert d’une protection financière apparaît, quoiqu’il en soit, de plus en plus indiquée aux vues de l’évolution de nos sociétés. En effet, le développement de l’esprit consumériste amène les consommateurs à être de plus en plus exigeants envers les professions prestataires de service. Or les vétérinaires, à mi-chemin entre prestataires de services et profession de santé, sont directement concernés [1]. Chaque jour, la pression de la part des propriétaires se fait ressentir. Que ce soit par l’absence de droit à l’erreur, la mise en concurrence des professionnels entre eux, sur le plan technique aussi bien que sur le plan " commercial " ou encore les mauvais avis google.
De plus, à l’instar des vétérinaires, les animaux occupent également une position ambigüe. Depuis la modification du Code Civil (articles 524 et 528), les animaux, plus que des biens mais non pas des personnes, sont désignés désormais comme des êtres sensibles. Le vétérinaire, considéré alors comme un soignant à part entière, endosse donc une responsabilité tout autre. On lui confie, au même titre qu’au médecin de famille, les êtres chers de son foyer ajoutant une dimension émotionnelle très forte à notre travail [1].
Mais que couvre exactement la RCP ?
La RCP couvre deux types de responsabilités : la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle.
La responsabilité contractuelle (article 1147 du Code Civil) est engagée lorsque le dommage résulte d’un manquement au contrat établi entre l’auteur et la victime [1]. Dans le cadre vétérinaire, ce contrat de soins, écrit ou tacite, implique que le soignant est tenu à une obligation de moyens. Les soins apportés aux animaux doivent être consciencieux et conformes aux données de la science. S’il n’y a pas d’obligation de résultats, la jurisprudence a néanmoins accordé une attention particulière à la notion de perte de chance. Dans le cadre de la responsabilité contractuelle, il est question d’erreur professionnelle dont résulte des dommages causés aux animaux en raison de l’intervention du vétérinaire.
La responsabilité délictuelle (article 1385 du Code Civil) est quant à elle engagée lors de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui que ce soit de son fait personnel, ou de celui des personnes dont nous sommes en charge ou des choses dont on a la garde juridique [1]. Or, lors de l’acte vétérinaire, les animaux sont transférés sous la garde juridique du professionnel, et ce, même en présence du propriétaire. Le vétérinaire est donc responsable du tort que l’animal peut causer à un tiers. Cette responsabilité s’applique également lorsqu’un client se blesse dans les locaux en raison d’un sol glissant par exemple.
Il est à noter que les deux types de responsabilités ne peuvent être engagées conjointement, la responsabilité contractuelle l’emportant sur la responsabilité délictuelle.
Enfin, pour que la RCP prenne en charge les frais de défense de l’assuré (experts et avocats) ainsi que l’indemnisation des victimes, plusieurs conditions doivent être réunies. La mise en œuvre de la RCP implique une faute, un dommage ainsi qu’un lien de causalité entre les deux. Lors de faits relevant de la responsabilité délictuelle, le professionnel est présumé responsable de facto tandis que la preuve du lien de causalité incombe au client lors de faute relevant de la responsabilité contractuelle.
Comment choisir son contrat ?
Gardons en tête que la RCP est un contrat d’assurance. Il est alors essentiel de le concevoir en fonction de ses besoins, des risques liés à son activité, des indemnités qui devrait être versées en cas de culpabilité avérée lors d’un litige. Les contrats généralistes couvrent des domaines parfois inutiles comme l’hygiène alimentaire pour un praticien canin, par exemple. A contrario, certaines spécialités sont plus à risque que d’autre. On pense notamment à l’équine mais aussi lorsque le vétérinaire travaille dans un schéma B to B (Business to Business) avec des éleveurs pour lesquels les animaux ont une valeur économique bien précise.
Il existe des contrats individuels ou de groupe. Ces derniers apparaissent plus avantageux pour chaque partie : l’assureur a une vision d’ensemble de l’activité et de ses aléas tandis que l’assuré y gagne en termes de coût des cotisations. Attention tout de même à bien définir les spécificités et différentes activités de chaque vétérinaire du groupe. En ce qui concerne les salariés, ils sont couverts par la RCP du responsable de la structure. Il n’est cependant par interdit, ni inutile dans certains cas, de cumuler les garanties de cette RCP obligatoire avec une RCP personnelle conçue au plus juste de ses propres besoins.
Lors du choix de sa RCP, plusieurs points clés doivent être étudiés. En premier lieu, il est important de comparer les listes des exclusions. En effet, comme tout contrat d’assurance, certains risques professionnels ne sont pas garantis. Il existe également des plafonds d’indemnisation, par année et par sinistre, ce qui a toute son importance en fonction de son secteur d’activités et de ses clients (professionnels ou non). Enfin, le prix des cotisations peut varier d’un contrat à l’autre selon le secteur d’activités, le nombre d’employés, le statut juridique de la structure, le chiffre d’affaires ou encore certaines clauses. La RCP est parfois incluse dans ce qui est communément appelé le " pack multirisque " comprenant également l’assistance juridique(1) ou la garantie perte d’exploitation(2).
-
L’assistance juridique est un service permettant d’être représenté et défendu lors de litiges, à l’amiable ou devant les tribunaux. Elle peut être sollicitée dans diverses situations comme des conflits contractuels avec les clients ou les fournisseurs, la défense pénale des salariés, lors de contrôles fiscaux, …
-
La garantie perte d’exploitation couvre la baisse importante de chiffre d’affaires lors d’incapacité temporaire d’exercer son activité.
Comparez mais surtout, faites-vous conseiller par un professionnel de confiance !
Nos cinq conseils lors de litige relevant de la RCP
-
Ne dressez pas de mur de silence. Le manque de communication entretient l’incompréhension et aggrave systématiquement le conflit
-
Identifiez que le dommage supposé causé relève bien de votre RCP et non de votre responsabilité disciplinaire ou pénale. Lors de cas de crise, il arrive souvent, sous le coût de l’émotion, que ces notions se mélangent, pour le plaignant comme pour le professionnel visé.
-
Communiquer clairement les coordonnées de votre RCP afin de permettre à la supposée victime de déclarer un sinistre. Cela ne signifie pas une reconnaissance de votre culpabilité. C’est également, rappelons-le, une obligation légale.
-
Prenez le temps de créer un document écrit recensant de manière factuelle et objective les faits. Ce document sera aussi bien utile à votre RCP qu’à vous-même. Sorte d’exutoire, il vous permettra sûrement d’un peu moins ruminer cette situation inconfortable.
-
Ne soyez pas votre propre juge. Une fois le dossier ouvert auprès de votre RCP, laissez-les gérer. C’est leur travail, et non le vôtre.
Même si tout professionnel a à cœur d’éviter les situations conflictuelles, notamment en mettant à jour ses compétences théoriques et pratiques, en respectant le code de Déontologie et en s’astreignant à une démarche sécuritaire et qualitative, elles n’en sont pas moins inhérentes à notre quotidien de praticien.
Chaque conflit mettant en cause la responsabilité du professionnel est extrêmement culpabilisant et engendre un vrai traumatisme moral, pour les jeunes diplômés comme pour les plus expérimentés.
Avoir choisi et connaître précisément les garanties de sa RCP apporte une certaine sérénité en se libérant de la peur de l’inconnu.
Anne-Sophie Richard,
Vétérinaire
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1 D. Ducy Froment. La responsabilité civile du vétérinaire canin, 2002, [En ligne]. Disponible sur : http://www.assoprotecvet.fr/medias/files/2002-these-veterinaire-responsabilite-civile-du-veterinaire.pdf [Consultée le : 18 août 2024] ;
[2] Code de Déontologie Vétérinaire. Edition 2022 [En ligne]. Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2023-03/CNO%20VETOS%20-%20Code%20deontologie%20%20V1.pdf [Consulté le : 18 août 2024].