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Histoire du baptême des étudiants vétérinaires en Belgique

Le Manneken-Pis, symbole bruxellois, en oripeaux.

Crédit photo @ anamejia18 - stock.adobe.com
Le baptême estudiantin belge peut être décrit comme une série d’épreuves d’intégration dont l’origine remonte au XIXe siècle. Cette tradition, ancrée dans l’histoire du pays, est entourée d’un voile mystique : on entend tout et n’importe quoi à son sujet. En quoi consiste-t-il ? Quelle est son histoire ? Comment a-t-il évolué dans le temps ? Quelles sont les particularités du baptême vétérinaire par rapport à celui des autres facultés ? Est-il obligatoire pour réussir ses études ? Je vous emmène pour un voyage historique à la découverte du baptême des étudiants de Belgique.

Immersion dans le baptême estudiantin belge

En Belgique, on appelle « le baptême », ce qui pourrait s’apparenter en France aux « brimades ». Cette différence lexicale tient à sa forte connotation folklorique. Le mot baptême vient du grec « baptizien » qui signifie « plonger dans un liquide » [1]. Emprunté à la religion catholique, mais ayant perdu toute connotation religieuse, le baptême étudiant garde cependant cette notion de « renaissance », le nouvel arrivant commençant ainsi sa nouvelle vie au sein d’un groupe.

Tous les automnes, on rencontre dans les villes de jeunes étudiants « gueule en terre », sous haute surveillance des « comitards », membres des comités, reconnaissables à leurs oripeaux.

Le " rituel initiatique " se déroule en général en trois parties :

  • Les « bleusailles », qui sont une série d’épreuves pendant lesquelles le « bleu » se voit transmettre les chants, l’histoire et les valeurs morales telles que la solidarité, le respect de l’autorité et l’entraide liés de ce folklore. Elles sont souvent arrosées de litres de bière, ce qui noircit parfois leur image. Ces « festivités » durent de 3 semaines à plusieurs mois et se déroulent toujours au premier quadrimestre, dès la première année d‘enseignement supérieur (mise à part pour le baptême cureghemois, nom donné au baptême vétérinaire, mais nous y reviendrons plus tard).
  • Le « baptême » en lui-même : soirée terminant les bleusailles où un « grand parcours » est réalisé par les « bleus », comprenant des épreuves en tout genre, pour lesquelles il vaut mieux avoir l’estomac bien accroché. À la fin du parcours, le « bleu » reçoit ses oripeaux et intègre le groupe des baptisés.
  • La remise des diplômes de baptême avec une mention selon l’implication du bleu pendant les épreuves.

Tout cela est encadré par le « comité de baptême » qui se compose d’un président et d’assistants et par les parrains et marraines des bleus.

Les oripeaux sont composés d’un couvre-chef et d’un tablier. Dans les écoles et universités laïques, c’est la « penne », couvre-chef ressemblant à une casquette dont la visière s’est allongée au fur et à mesure des années, qui est revêtue. Historiquement, elle servait à « protéger du regard de dieu ». Elle serait apparue vers 1850 à l’université libre de Bruxelles et vers 1860 à Liège [2]. Alors que dans les universités et écoles catholiques c’est la « calotte », qui à l’inverse de la penne n’a pas de visière, qui sert de couvre-chef aux baptisés depuis 1895.

On retrouve aussi le « tablard », qui est à la base un tablier de laboratoire blanc décoré d’un dessin personnalisé et traditionnellement rempli de petits messages. Celui-ci est porté à chaque « guindaille » (festivité étudiante), mais ne doit surtout jamais être lavé : plus il est sale et mieux c’est !

La « toge » est un accoutrement qui se met au-dessus des vêtements et qui est réservé aux membres des comités de baptême. La couleur de celle-ci est fonction de la faculté. Il y a plusieurs hypothèses quant à son origine. La plus souvent citée remonte aux années 1930, à la suite de querelles entre les étudiants en médecine et en droit. Pour se moquer de ces derniers, les futurs médecins auraient revêtu la toge lors de soirées étudiantes. En riposte, les étudiants en droit auraient alors arboré le tablier blanc [3].

La « cape » est elle aussi réservée aux « comitards ». Elle est présente dans les oripeaux cureghemois sous différentes couleurs selon le comité [3].

Se rajoutent à tout cela des accessoires divers et variés selon les comités et les facultés comme les brassards ou les bands.

Histoire et évolution du baptême en Belgique

C’est au XIXe siècle qu’apparurent les prémisses du baptême actuel. À cette époque, les premiers « bleus » cherchaient « un parrain » qui acceptait de baptiser leur penne. La guindaille étudiante en était encore à ses débuts. Le « baptême » a commencé à s’organiser à la suite de la création des régionales représentant certaines provinces du pays. La première fut fondée en 1868. Il s’agit de la « Lux », réunissant les étudiants de la province du Luxembourg. Par la suite apparaissent les cercles facultaires puis les comités de baptême. À leurs débuts, les « baptisés » sont surnommés « joyeux fêtards », et l’alcool et les chants font déjà partie de la coutume.

Avec la Première Guerre mondiale, tout s’amenuise pour des raisons évidentes. Les étudiants vont sur le front et après-guerre, le cœur n’est plus à la fête. Les festivités semblent gagner à nouveau du terrain vers 1925 avant d’être stoppées lors de la Seconde Guerre mondiale.

En 1949, la création à Liège de la « saint toré » (saint taureau en wallon) marque le retour de la « guindaille » étudiante. Il s’agit d’une fête étudiante qui a lieu tous les mois de mars depuis cette date. Elle rend hommage à une sculpture liégeoise, “ le dompteur de taureau ”, œuvre de Léon Mignon.

Dans les années soixante, le baptême s’essouffle et va même presque jusqu’à disparaître. Les sociologues évoquent une préoccupation majeure des étudiants pour la politique et le social. L’image stéréotypée de l’étudiant bourgeois qui fait la fête pendant que des enjeux importants se jouent dans la société crée alors un décalage. L’étudiant cherche à « améliorer » la société plutôt qu’à s’adonner à des activités folkloriques.

Début 1980, l’activisme politique s’est essoufflé et à Liège, la situation excentrée du campus du Sart Tilman renforce les activités des régionales et des comités de baptême.

En 1987, on estime qu’environ 14 % des filles et 30 % des garçons, toutes facultés confondues, étaient baptisés. Les causes les plus fréquentes de refus à l’époque étant la peur de devoir se montrer nu, la crainte des « comitards » ou l’éviction des épreuves considérées comme « indignes » [1].

Dans les années 2000, des accidents lors des bleusailles remettent en cause l’organisation des activités baptismales. Un cas très médiatisé, celui d’une étudiante française, tombée dans le coma pendant quarante-huit heures en septembre 2013, à la suite d’une trop grande ingestion d’eau lors d’un week-end de bleusaille à Marche-en-Famenne, a fait intervenir le monde politique. Ségolène Royal a demandé à Elio di Rupo, Premier ministre belge lors des faits, l’interdiction totale des activités d’intégration. L’ex-Premier ministre avait alors défendu le folklore tout en condamnant fermement cet incident. Les autorités belges ont par la suite préféré encadrer qu’interdire, de peur de voir apparaître des activités clandestines.

En 2018, le décès d’un étudiant de Leuven, à la suite de l’ingestion d’une quantité importante d’huile de poisson, a relancé la polémique.

Une charte a été créée, afin d’assurer des conditions de sécurité « maximales ». Elle est consultable en ligne [4] et signée par les participants au baptême. L’évolution tend donc vers le respect et la sécurité afin que cet événement unique dans la vie étudiante ne soit plus à l’origine de drames humains.

Les particularités du baptême cureghemois

Le baptême cureghemois, en référence à la ville de Cureghem, située en région bruxelloise, qui a accueilli la première école vétérinaire belge en 1836, est connu et redouté par tous les étudiants vétérinaires belges (ndlr : en réalité, l'école a été fondée un peu avant cette date ; elle accueillit ses premiers élèves le 11 novembre 1832, dans une maison de la rue d'Assaut, au centre de Bruxelles. Extrait de Liber Memorialis).  L’école de Cureghem a formé les étudiants vétérinaires jusqu’en 1991, année de son déménagement à Liège, au Sart Tilman, encore appelé aujourd’hui Cureghem-lez-Liège (comprendre Cureghem à Liège) par les baptisés.

« Alors, tu vas faire ton baptême ? » c’est la question au bout de toutes les lèvres des étudiants entrant en deuxième bachelier à l’université de Liège. En effet, comme évoqué précédemment, le baptême vétérinaire n’est accessible qu’à partir de la deuxième année d’étude, mais peut être effectué au début des années suivantes, notamment pour les étudiants effectuant leurs bacheliers, c’est-à-dire leurs 3 premières années d’école vétérinaire dans une des trois autres universités francophones : Louvain-la-Neuve, Namur ou Bruxelles (ndlr : en Belgique francophone, 4 écoles dispensent les 3 années de bacheliers vétérinaires mais seule la faculté vétérinaire de Liège dispense les 3 dernières années à savoir les années de master).

Le baptême débute rapidement après la rentrée et se déroule sur trois semaines complètes. En effet, à l’instar des autres « bleusailles », les activités se déroulent sur l’ensemble de la période. Le bleu est alors nourri, logé et surtout abreuvé par son ou ses parrains/marraines !

Tout commence par les « achats ». Les « bleus » se présentent chacun à leur tour à l’assemblé de parrains et marraines. Ces derniers sont des étudiants de dernière année ayant obligatoirement fait leur baptême il y a au moins deux ans. L’expérience du parrainage est donc unique dans la vie étudiante. Les candidats sont sélectionnés selon leur connaissance du folklore et leur sens de la responsabilité. En effet, ils seront garants de la sécurité de leur recrue pendant toute la durée des festivités. Une fois le « bleu » acheté, il rejoint un « kot de baptême » (un kot en Belgique désigne un logement étudiant). Celui-ci est constitué par plusieurs parrains, marraines ainsi que des tontons et tantines qui auront l’importante tâche de transmettre le folklore aux « bleus ». Ce rite initiatique est ensuite organisé autour de plusieurs « épreuves » parmi lesquels des « prébas », soirées organisées par les différents comités, un match de foot, le redouté crossing shop et plus étonnant : les danses. En effet, les « bleus » vont préparer six danses à présenter lors de la soirée finale,  le « grand baptême ». Pendant toute la durée du séjour, les « bleus » doivent se tenir plus bas que les baptisés et quand ceux-ci le décident, se mettre en « méchant », l‘équivalent du « gueule en terre » dans d’autres baptêmes.

Les week-ends, connus comme les meilleurs moments du baptême, sont réservés à un voyage avec des activités ludiques (acrobranche, plage, bowling…) qui resserrent les liens. Les valeurs particulièrement mises en avant sont l’entraide et la solidarité. C’est dans l’adversité que l’on crée des liens forts qui semblent résister à l’épreuve du temps.

Une fois le soir du « grand baptême » arrivé, après le spectacle de danse, et historiquement pour les bleus mâles et plus récemment pour les filles, un « grand parcours » avec de nombreuses épreuves est réalisé avant de toucher du doigt sa sacro-sainte penne et de pouvoir échanger une bière avec son parrain ou sa marraine.

Une vie étudiante remplie d’activités s’ouvre alors au « néo » qui va pouvoir profiter des soirées étudiantes et de la « maison des docteurs », café installé à Angleur et tenu par des cureghemois nommés co-tenanciers.

Des polémiques à propos de l’accès aux syllabi (ndlr nom donné aux supports de cours) ont souvent fait l’objet de rumeurs, poussant parfois certains étudiants à s’inscrire au baptême dans l’optique de réussir plus facilement leurs études. Pourtant l’office des cours, qui est géré par des baptisés, délivre les cours à tout étudiant, qu’il ait fait le choix ou non de faire partie du folklore.


Le baptême belge, ancré dans les traditions du pays, a survécu à l’épreuve du temps et des polémiques. De plus en plus encadrés pour permettre au folklore de perdurer tout en essayant de garantir au maximum la sécurité des participants, ses détracteurs n’ont pour l’instant pas « eu sa peau ». Chaque automne, nous continuons donc à entendre le chant des étudiants wallons retentir. Cependant, une scolarité épanouie est tout à fait possible en dehors du baptême. Chacun est libre de vivre ses études comme il le souhaite.

 

Mélissa Dastroy,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] P. De Visscher. Les premiers pas d’une vie nouvelle. Baptême ou bizutage ? rites bénéfiques ou traumatisants ? Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 2015, numéro 107, p 493 à 535. [En ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-3-page-493.htm [consulté le :14 janvier 2023] ;

[2] J. Covolo, la penne, [En ligne]. Disponible sur https://www.cb-philo.be/folklore/la-penne/ [Consulté le 08 janvier 2023] ;

[3] J. Covolo, Les toges et les capes [En ligne]. Disponible sur : https://www.cb-philo.be/folklore/les-toges-et-capes/ [Consulté le 08 janvier 2023] ;

[4] Comité de rédaction de bx1.be Folklore étudiant : la charte qui encadre les activités festives est renforcée, 05 juillet 2022. [En ligne]. Disponible sur : https://bx1.be/categories/news/folklore-etudiant-les-activites-festives-seront-mieux-encadrees/ [Consulté le : 10 janvier 2023].

 

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