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Cultiver la sécurité psychologique dans sa structure vétérinaire

Crédit photo @ Yama's Pictures
En structure vétérinaire, s’exprimer sans crainte lorsque la sécurité des patients ou des humains est en jeu est primordial. Pourtant, dans certaines équipes, la parole est brimée à cause d’un climat interpersonnel complexe, voire malsain. Nous vous proposons d’explorer ensemble le concept de sécurité psychologique, son importance pour la sécurité des soins, le bien-être et la performance des équipes vétérinaires. En transposant au milieu vétérinaire les travaux d’Amy Edmondson, chercheuse nord-américaine, nous vous invitons à questionner votre équilibre entre sécurité psychologique et exigences de performance.

Qui, enfant, n’a jamais dissimulé une erreur à ses parents par peur de se faire gronder ? Qui, adolescent, n’a jamais gardé pour soi son stress pour faire bonne figure ? Qui, adulte, ne s’est jamais retenu de poser une question jugée " bête " ? Ces peurs des réactions de son entourage ne touchent pas que la sphère privée mais se retrouvent également au travail : se retenir de suggérer une organisation différente pour le planning par peur d’outrepasser son statut, cacher une erreur à son collègue par peur d’être jugé comme incompétent, ne pas oser redemander la posologie d’un médicament à injecter malgré ses doutes par peur de se faire sermonner…  

Qu’est-ce que la sécurité psychologique 

Poser une question, exprimer une idée, montrer ses préoccupations ou admettre ses erreurs peut parfois être vécu comme une prise de risque : celui notamment de passer pour incompétent, ignorant, intrusif ou négatif. Pour oser prendre ces risques, nous avons besoin de nous sentir " sûrs psychologiquement ". Théorisée par Amy Edmondson, professeure à Harvard, la sécurité psychologique se définit comme la conviction que ce que l’on dit sera le bienvenu et que l’on ne sera ni puni ni ridiculisé pour avoir osé parler [1]. Autrement dit, une équipe garantissant la sécurité psychologique est simplement une équipe dans laquelle on se sent libre de s’exprimer et d’être soi-même sans peur d’être jugés.  

La sécurité psychologique profite aux patients 

Un faible niveau de sécurité psychologique altère la sécurité des soins dispensés. En effet, se questionner en continu sur ce que l’on peut dire ou non ajoute une pression supplémentaire sur les soignants. Or, sous stress, notre cerveau réfléchit moins bien et fait plus d’erreurs. Soumis à des biais cognitifs, les décisions sont entravées, par exemple, en se conformant à l’avis majoritaire ou en minimisant ses doutes.  

En plus d’augmenter le risque d’erreur, un faible niveau de sécurité psychologique limite la récupération et l'atténuation des éventuelles erreurs comme l’illustre le témoignage suivant 

"Je réalisais les soins du midi. Les traitements sont inscrits sur une feuille de soins. Un chien hospitalisé par ma collègue devait recevoir une CRI de morphine. La posologie me semblait élevée mais n’étant pas mon patient, je n’ai pas osé la déranger pour re-vérifier avec elle. J’ai donc fait ce qui était écrit sur la feuille de soins. Heureusement, je me suis vite rendu compte que le chien n’allait pas bien (endormissement, léthargie, dépression respiratoire…). J’ai demandé de l’aide et ma collègue s’est rendu compte que la posologie inscrite sur la feuille de soins était erronée. On a pu rattraper avec un antagoniste, l’arrêt de la CRI et des soins et le chien n’a eu aucune séquelle. Ma collègue, au lieu de reconnaître son erreur, m’a tout mis sur le dos et m’a incendié de ne pas avoir vu l’erreur. L’ambiance entre nous était déjà mauvaise mais à partir de ce jour, ça a été de pire en pire…"[2]

Si la situation s’est bien terminée, l’erreur aurait pu être récupérée avant qu’elle n’atteigne l’animal. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Quand la peur de la sanction ou de l’humiliation est trop importante, les erreurs peuvent finir par être systématiquement cachées, quand bien même elles auraient pu être rattrapées. Garantir la sécurité psychologique est donc un enjeu pour l’ensemble des équipes vétérinaires afin de garantir que chacun puisse s’exprimer quand la sécurité des soins est en jeu.  

La sécurité psychologique profite également aux individus et aux équipes !  

La sécurité psychologique ne se limite pas à la prévention des erreurs. Elle joue également un rôle crucial dans le bien-être des employés et la qualité de vie au travail. Lorsque les individus se sentent valorisés, écoutés et soutenus, ils sont plus susceptibles d'être engagés, motivés et productifs. En revanche, un manque de sécurité psychologique peut engendrer du stress, de l'anxiété et un sentiment d'insécurité, ce qui peut nuire à la santé mentale et physique des employés. Un des témoignages de l’enquête sur la souffrance au travail menée par le Professeur Truchot l’illustre très bien :  

"Les rapports tendus avec mon patron] est une des raisons pour lesquelles, moi, je peux avoir eu des souffrances au travail. Et ça a mis du temps, ça a mis 15 ans pour ne plus souffrir au travail, parce que toute ma pratique était ciblée : est-ce que je vais me faire engueuler par le patron."[3].

Enfin, la sécurité psychologique est essentielle pour stimuler la croissance et l'innovation au sein des équipes. Les suggestions d'amélioration, les idées nouvelles et les préoccupations légitimes des membres de l'équipe peuvent être étouffées par un climat de peur et de silence. Sans sécurité psychologique, les équipes manquent d’opportunités d’apprendre de leurs erreurs et risquent de stagner dans la routine. 

En cultivant un environnement où les individus se sentent à l'aise pour prendre des risques interpersonnels, les structures vétérinaires peuvent non seulement accroître leur performance, garantir la sécurité des soins pour leurs patients mais aussi créer un lieu de travail plus sain et plus épanouissant pour tous. 

Le lien entre sécurité psychologique et performance de l’équipe 

Cultiver la sécurité psychologique dans son équipe ne revient pas à vivre dans le monde des bisounours. Il ne s’agit pas d’être sympa, d’éviter tout conflit, d’applaudir toutes les idées ou d’aller dans le sens de chacun. La sécurité psychologique s’articule avec les attentes nécessaires de performance de l’équipe. Amy Edmondson distingue 4 zones (voir figure 1) : 

 

Figure 1 – Relation entre sécurité psychologique et standards de performance, adapté d’Amy Edmondson par Leïla ASSAGHIR 

  1. La zone de confort : les attentes sont faibles mais la sécurité psychologique est haute. L’ambiance est agréable, chacun est accepté tel qu’il est. Cependant, le travail est peu stimulant. Les soignants n’apprennent plus, ils font ce qu’ils savent faire. Cet environnement de travail peut être agréable mais au long cours, il est possible de vouloir d’autres challenges et d’envisager d’autres métiers. 

  2. La zone d’apathie : les attentes et la sécurité psychologique sont faibles. Le travail n’est déjà pas passionnant mais en plus, les moindres erreurs ou suggestions sont mal accueillies. Cet environnement suscite l’ennui, fait perdre le goût de son métier. Le soignant ne voit plus l’intérêt de fournir des efforts au point, parfois, d’aller jusqu’au bore-out.  

  3. La zone d’anxiété : les attentes sont élevées mais la sécurité psychologique est faible. Le travail est exigeant, il nous challenge chaque jour. En revanche, aucune marge d’erreur n’est tolérée. Aucune remise en cause n’est possible et chaque mot doit être pesé avant de s’exprimer face à ses collègues. Le soignant se met une pression oppressante et craint davantage ses échecs par rapport aux potentielles réactions de son équipe que par rapport à leur issue possible. Il vient au travail avec la boule au ventre et peut finir en burn-out. 

  4. La zone d’apprentissage : les attentes et la sécurité psychologique sont élevées. Le travail est stimulant et exigeant. Le soignant ne s’enferme pas dans une routine mais progresse chaque jour. Il est accepté que malgré des attentes élevées, il est possible de se tromper, non pas par mauvaise volonté mais car l’erreur est humaine. Elle est vue comme une source d’apprentissage tant pour l’individu que pour l’équipe qui se soutient. C’est l’environnement idéal pour travailler que l’on devrait tous chercher à atteindre. 


Cultiver un environnement où les individus se sentent à l'aise pour s’exprimer est crucial pour les structures vétérinaires. En favorisant la sécurité psychologique, les équipes peuvent non seulement accroître leur performance et garantir la sécurité des soins pour leurs patients, mais aussi créer un lieu de travail plus sain et plus épanouissant pour tous. En s'inspirant des quatre zones définies par Amy Edmondson, chacun peut tirer son équipe vers un environnement d'apprentissage stimulant, où la sécurité psychologique compte autant que les exigences fixées. 

 

Leïla Assaghir, 
Vétérinaire et consultante en sécurité des soins chez Eclaireur formation  

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1]. Edmondson, A. (2023). Right Kind of Wrong, Simon Schuster Uk. 368p. 

[2]. Témoignages récoltés dans le cadre de ma thèse d’exercice, ASSAGHIR, L. (2023). Les erreurs médicales dans la pratique vétérinaire animaux de compagnie. Thèse de doctorat vétérinaire. Nantes : école nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique. [En ligne]. Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04120097v1/document [Consulté le : 4 juin 2024] ;

[3]. Truchot, D., Andela, M., & Mudry, A. (2022). La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale. Rapport de recherche pour le Conseil National de l’Ordre des Vétérinaires et l’Association Vétos-Entraide. Université de Bourgogne Franche-Comté, 89p. [En ligne]. Disponible sur :  https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2022-06/Rapport%20Cnov%20et%20Vétos%20Entraides%20VFinale%2013062022.pdf [Consulté le : 4 juin 2024] ; 

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