C’est après avoir essuyé bien des déconvenues et entendu des discours médicaux déconnectés de la réalité pendant longtemps qu’Anaïs Bonafé, notre consœur, a souhaité témoigner. Si son expérience peut permettre à une ou plusieurs jeunes femmes d’éviter de subir les mêmes difficultés qu’elle, alors son histoire mérite d’être entendue et partagée. En attendant, nous espérons que ce témoignage plantera de petites graines dans l’esprit de tous, y compris ceux qui ne se sentent pas concernés.
La parentalité, un horizon lointain lorsqu’on est étudiant ?
Les études vétérinaires sont longues, prenantes, élitistes. Elles sont le point de départ de la promesse d’une belle carrière. Comme la grande majorité des étudiants qui l’entourent, Anaïs n’envisage pas la maternité dans un futur immédiat. C’est même plutôt l’inverse. Sortie de Maisons-Alfort en 2013 à l’âge de 28 ans, en couple depuis de nombreuses années, elle n’éprouve pas à l’époque de désir d’enfant particulier.
Pendant ses études, Anaïs a dû subir le retrait d’un kyste ovarien sous coelioscopie. L’opération se passe assez mal et se complique, mais les discours des médecins sont rassurants. À aucun moment n’est évoqué un potentiel retentissement sur sa fertilité. Tout juste diplômée, Anaïs préfère se consacrer à son métier et s’associe rapidement, après deux années de salariat en mixte canine-rurale.
"La fertilité d’une femme atteint son pic entre la fin de l’adolescence et l’approche de la trentaine. Elle commence à diminuer après 30 ans, et le rythme s’accélère encore après 35 ans. Pourtant, un sondage mené aux Etats-Unis montre que 20% des femmes n’ont pas conscience de l’effet de l’âge sur leur fertilité. Aujourd’hui, lorsque la fertilité est maximale, les femmes sont tournées vers leurs études ou leur carrière. En conséquence, l’âge auquel une femme songe à tomber enceinte ne fait que reculer… et les difficultés à tomber enceinte augmentent. Chez l’homme, l’impact de l’âge est plus discret. La fertilité atteint un pic entre 30 et 34 ans puis diminue ensuite, mais de manière moins prononcée que chez les femmes."
Du désir d’enfant aux difficultés
Finalement, le désir d’enfant pointe le bout de son nez en 2015, en parallèle de l’accomplissement de projets personnels (achat d’une maison, association). Le temps passe et la grossesse n’arrive pas. Les conditions de travail d’Anaïs se dégradent, jusqu’à lui faire envisager de quitter la clinique dans laquelle elle est associée.
En 2018, elle est prise de douleurs abdominales extrêmement intenses. Après de multiples examens, on lui diagnostique une volumineuse masse, de nature inconnue, justifiant une intervention chirurgicale. Il s’agit finalement d’un nouveau kyste ovarien, qui est retiré. La kystectomie a pour conséquence de diminuer la taille du parenchyme ovarien et donc la réserve ovarienne des patientes. Pourtant les médecins ne soulèvent pas ce point avec Anaïs, malgré ses questions.
Face à ses difficultés à concevoir, elle se dirige finalement vers un premier centre de PMA à Reims, avec lequel elle commence des protocoles de stimulation hormonale. De nouveau, les médecins ne cherchent pas à quantifier sa réserve ovarienne malgré ses antécédents. Les stimulations n’aboutissent pas à une grossesse et Anaïs ne reçoit toujours pas d’explications supplémentaires, ni d’autres propositions thérapeutiques.
Professionnellement, Anaïs quitte son associé cette même année et cherche un nouveau poste en Bourgogne. Son désir de maternité pose problème lors de certains entretiens d’embauche (" une grossesse en hiver, ce n’est pas pratique pour la rurale ! ") Son parcours pour devenir mère est décidément éprouvant, et retentit sur sa vie professionnelle. Elle se sent contrainte d’abandonner l’activité rurale et se dirige vers une pratique canine exclusive.
"Pour rappel, discriminer quelqu’un à l’embauche à cause de sa situation de famille est illégal. Les informations demandées au candidat ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé. En conséquence, il n’y a aucune obligation à révéler son désir de grossesse pendant un entretien, et cette information ne pourra jamais être utilisée pour justifier un licenciement par la suite. "
Finalement, c’est une gynécologue puis le centre de PMA de Dijon qui prennent son dossier au sérieux. Anaïs lit dans les yeux de ces professionnels de la surprise et de l’incompréhension face à sa prise de charge jusque-là inadaptée. Elle passe enfin des examens plus poussés. Le verdict tombe : pré-ménopause à l’âge de 34 ans.
Sur la route du don d’ovocytes
Rapidement, Anaïs est dirigée vers une Fécondation In Vitro. Il faut tout d’abord lui retirer un troisième kyste ovarien, apparu depuis. Elle démarre les protocoles hormonaux tout juste sortie d’opération. Malheureusement, la réponse ovarienne est insuffisante et n’aboutit qu’à un seul follicule, qui n’a pas maturé.
L’échec du protocole conduit l’équipe médicale à lui demander si elle a déjà songé à d’autres façons d’aborder la maternité : adoption ou don d’ovocytes. Passés le choc et la colère, Anaïs se décide à faire appel au don d’ovocytes. En France, les délais sont malheureusement longs avant de pouvoir en bénéficier. On lui annonce une attente de 2 à 3 ans. Pendant ce temps-là, l’horloge biologique ne cesse de tourner, particulièrement en situation de pré-ménopause.
"Depuis l’application de la loi de bioéthique qui ouvre la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, les délais pour bénéficier d’un don de gamètes ne font que se rallonger. Aujourd’hui, les demandes d’aide à la procréation avec don de spermatozoïdes ont été multipliées par sept, avec plus de 15 000 dossiers annuels. Les délais pour en bénéficier sont de 14 mois en moyenne, et 23 mois pour un don d’ovocytes. "
Avec son mari, Anaïs choisit donc de poursuivre les démarches en Espagne, un pays qui possède plusieurs cliniques de PMA performantes et qui dispose de délais d’attente moins longs. Les donneuses sont rémunérées. Elles sont ainsi souvent plus jeunes, et plus nombreuses. La contrepartie pour les patients : un budget d’environ 7500 euros à prévoir, seulement partiellement indemnisé par la sécurité sociale. La possibilité de bénéficier de la PMA à l’étranger n’est donc pas à la portée de toutes les bourses.
Le temps de faire murir ce projet et d’entamer toutes les démarches, il se passera encore de nombreux mois. Mais enfin, un peu de lumière jaillit au bout de ce long tunnel : Anaïs et son mari accueillent leur petite fille très attendue en 2022, sept ans après le début de leur projet de famille.
Préservation de la fertilité, pourquoi on n’en parle pas ?
Ce qu’Anaïs retient de son parcours, ce sont les années d’errance médicale qu’elle a traversées. Elle s’est sentie mal informée et mal aiguillée. À son tour, elle a souhaité communiquer sur le sujet sensible de la fertilité. La cible vétérinaire est en effet concernée, car les maternités y sont un peu plus tardives que la moyenne et les démarches à entreprendre pas toujours faciles à concilier avec une vie professionnelle intense. Ce sont donc trois points clés qu’il faut retenir de son témoignage :
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La baisse naturelle de la fertilité féminine après 25-30 ans, un âge où les jeunes vétérinaires ont généralement bien d’autres projets en tête.
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La possibilité de bénéficier d’une préservation de sa fertilité pour motif médical. Cela concerne par exemple les personnes atteintes de maladies susceptibles d’altérer leur fertilité (traitements anti-cancéreux, endométriose, lupus…) et cette démarche est prise en charge par la sécurité sociale. L’autoconservation de gamètes est également possible sans motif médical, pour les personnes souhaitant recourir à la PMA par la suite. Elle est possible pour les femmes de 29 à 37 ans, et pour les hommes de 29 à 45 ans. Dans ce cas, les actes de recueil et de prélèvement sont pris en charge, mais le coût de conservation reste à la charge des patients.
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La possibilité de donner ses propres gamètes, pour permettre à plus de couples d’accéder à la parentalité. Il s’agit d’un véritable acte de solidarité, qu’il est possible d’effectuer même lorsqu’on n’a pas encore d’enfants.
Un grand merci à notre consœur Anaïs Bonafé pour son témoignage !
Astrid de Boissière,
Vétérinaire