Murs et fonds de commerce, quelles différences ?
Oui, une clinique vétérinaire possède des murs. Même le vétérinaire rural, pourtant habitué à travailler au grand air, s’attend à en trouver autour de sa structure, à son retour de tournée. Mais ce sont plus précisément des « murs commerciaux » dont nous parlerons ici. La distinction juridique entre la clinique, qui est un fonds de commerce classique du point de vue du droit et ses murs commerciaux, trouve rapidement son intérêt.
Le fonds de commerce est un « objet virtuel » qui permet de rassembler en un tout (dans l’objectif de le vendre, par exemple) la plupart des éléments constitutifs d’une entité économique. Typiquement, dans le cas d’une structure vétérinaire, il s’agit de votre matériel, de vos stocks, de vos marchandises, de vos équipements mais aussi d’éléments incorporels comme votre clientèle, votre nom commercial ou votre marque mais encore (et peut-être surtout !) de vos locaux et leur adresse (surtout si cette dernière est réputée et bien connue de votre clientèle).
Si l’entreprise est elle-même propriétaire des locaux dans lesquels elle exerce son activité alors cette distinction n’a pas lieu d’être : les locaux font partie intégrante du fonds de commerce. On distingue les « murs commerciaux » du « fonds de commerce » lorsque l’entreprise est seulement locataire des locaux dans lesquels elle exerce son activité (classiquement via un bail commercial [1]). Elle n’est alors titulaire que du droit d’utiliser ses locaux, on parle de « droit au bail », et seul ce dernier fait partie du fonds de commerce. Par opposition, les « murs commerciaux » désignent en quelque sorte la partie des locaux qui reste entre les mains du bailleur et qui ne fait donc pas partie du fonds de commerce. Eh bien ce « reste » constitue en fait un très bon investissement.
Un investissement intéressant et maîtrisé
Si vous posez la question au patron de l’agence immobilière du coin de la rue (censé s’y connaitre un minimum en investissement immobilier), il vous répondra sûrement qu’il est propriétaire de ses locaux ou qu’il fait tout pour le devenir. Et, ce n’est pas un hasard : cet investissement est souvent considéré comme idéal pour les entrepreneurs et les commerçants. Quel que soit le montage juridique utilisé (montage que nous étudierons plus en détail dans quelques lignes), la finalité reste la même : il s’agit d’investir pour conserver les fruits de son activité plutôt que d’en verser une part significative à un propriétaire tiers. Si votre structure se porte bien, cet investissement possède souvent une rentabilité très correcte.
De plus, la retraite des entrepreneurs et les risques inhérents à toute entreprise étant ce qu’ils sont : acquérir la propriété des murs de son entreprise permet d’obtenir, au cours de sa vie professionnelle, un revenu foncier complémentaire diversifiant son patrimoine. Et après sa vie professionnelle, il s’agira alors d’un complément de retraite bienvenu et mérité. Or, cela est possible via un investissement bien peu risqué. On vous épargne le couplet classique sur les avantages et le moindre risque de l’investissement dans la fameuse « pierre » mais on n’en pense pas moins. La preuve en est que les banques, à qui la simple évocation du mot « risque » donne plus de boutons qu’une pyodermite à un chat, sont souvent peu frileuses à vous suivre sur ce type d’opération. Sur le plan fiscal, « acquérir » peut aussi permettre de déduire certaines dépenses d’assurances, d’entretien ou encore certains frais d’amortissement, ce qui est à prendre en considération.
Une liberté d'entreprendre retrouvée
Être locataire a l’avantage de pouvoir tester une implantation et d’observer le développement d’une clientèle tout en conservant une capacité de mobilité. À l’opposé, une clinique bien implantée et reposant sur une clientèle fidélisée a tout intérêt à s’extraire de la contrainte imposée par la présence d’un propriétaire tiers.
Quel que soit le montage, être propriétaire de ses locaux c’est être libre. Libre de choisir son loyer : un loyer plus important pour une clinique se portant très bien, un loyer faible voire nul ou aménagé en fonction du chiffre d’affaires pour une clinique encore en développement ou craignant de subir un coup dur. Même si vous êtes propriétaire par l’intermédiaire d’une SCI, vous restez maître à bord et vous pouvez, par exemple, vous auto-accorder un délai de règlement de votre loyer en cas de souci temporaire de trésorerie.
De même, pas d’autorisation à obtenir de son propriétaire pour réaliser des travaux et élargir ou modifier votre activité. Comme pour le délai de règlement évoquée à l’instant, il est également possible de jouer sur les lignes concernant la prise en charge financière des travaux, de l’entretien, de la taxe foncière... Notez bien que s’il est tout à fait possible de faire jouer quelques lignes comme on vient de l’évoquer, il faut cependant le faire dans les règles de l’art et en respectant un certain cadre afin de ne pas tomber dans le délit d’abus de biens sociaux. Votre expert-comptable pourra vous y aider.
Plusieurs montages juridiques sont disponibles
En effet, plusieurs montages sont possibles pour acheter ses murs commerciaux et ils possèdent des avantages différents.
L’achat peut être réalisé directement par l’entreprise. Tout d’abord, si vous achetez un bâtiment neuf (moins de cinq ans), cela vous permet de déduire la TVA sur les frais d’achat [2]. Il est aussi possible de déduire de son bénéfice imposable les frais d’acquisition, les frais d’assurance, les intérêts d’emprunt en cas d’achat à crédit, les frais d’entretien, la taxe foncière ainsi qu’une partie de son investissement par le jeu des amortissements. La rentabilité financière de l’investissement s’en trouvera largement augmentée.
L’achat peut être réalisé à titre privé en son nom propre par le chef d’entreprise. Il lui suffira ensuite de mettre en place un bail commercial entre lui et son entreprise. Un bail commercial sera à privilégier en cas de recours au crédit, l’engagement du locataire sur un bail pérenne de 3/6/9 ans rendra l’opération plus attractive et plus sûre du point de vue de la banque. Les loyers perçus par le chef d’entreprise constitueront pour lui des revenus fonciers imposables à ce titre. Sa situation fiscale personnelle sera donc à étudier de près avant d’envisager cette solution.
L’achat peut enfin être réalisé par l’intermédiaire d’une Société Civile Immobilière : la fameuse « SCI familiale » qui sera créée spécialement pour acquérir et opérer la gestion des murs commerciaux. De même, un bail commercial sera établi entre la SCI et l’entreprise. Les actionnaires de la SCI recevront alors leur quote-part de loyers. Ce dernier montage est souvent (pour ne pas dire quasi systématiquement) privilégié pour l’achat de ses murs commerciaux pour l’immense flexibilité et les avantages qu’il offre. Il mérite à ce titre de plus amples explications.
La SCI, la Rolls Royce de l'investissement immobilier
Si le recours à la SCI est si souvent utilisé pour les investissements immobiliers, c’est parce qu’elle est d’une grande souplesse et que ses avantages l’emportent à notre sens largement sur ses quelques inconvénients.
Le recours à la SCI permet de protéger le patrimoine immobilier en le séparant de l’actif de l’entreprise. En cas de problèmes financiers, les éventuels créanciers de la structure vétérinaire ne pourront s’y servir, n’y même se l’approprier en cas de faillite. En revanche, du point de vue des associés de la SCI, cette dernière n’est pas une société à responsabilité limitée. Ainsi, les créanciers de la SCI pourront, le cas échéant, piocher dans le patrimoine personnel des associés (de façon limitée cependant, à hauteur de leur participation au capital social).
La SCI permet aussi de faciliter l’obtention d’un crédit. Le pourcentage maximal d’endettement de 35 % sera appréciée pour chaque associé, ce qui peut parfois permettre d’emprunter une somme plus importante. Autre avantage non négligeable au vu de la crise du crédit qui touche la France à l’heure où nous écrivons ces lignes, la SCI, et ce depuis longtemps, ne bénéficie pas du statut protecteur des consommateurs [3]. Si cela peut paraitre être un inconvénient au premier abord, cela permet en pratique d’échapper au taux d’usure imposé aux particuliers qui bloque beaucoup de dossier d’emprunt en ce moment [4].
La SCI permet une très grande flexibilité puisque les associés en définissent librement les statuts et peuvent donc y instaurer des conditions ou des mécanisme particuliers en termes de limitation des pouvoirs du gérant, en termes de nécessité de majorité et/ou de quorum dans la prise de certaines décisions, en termes d’agrément ou de liberté de cession de ses parts sociales par un associés au profit d’un tiers ou d’autre autre associé... Les associés vont aussi pouvoir choisir le régime d’imposition des revenus provenant de la SCI afin qu’il leur soit le plus profitable. Cela revient principalement à opter soit pour l’imposition « à l’impôt sur les sociétés » (la SCI paie de manière classique son IS sur ses bénéfices) soit à opter pour la « transparence fiscale » (la SCI n’est pas taxée sur ses bénéfices, ces derniers sont taxés en tant que revenus fonciers via la déclaration fiscale de chaque associé). Un bon comptable, ou à défaut, de nombreux sites internet expliquent comment faire le bon choix [5].
Enfin, l’intérêt qui lui vaut probablement son statut de montage le plus utilisé en France pour l’investissement immobilier [6], c’est qu’il facilite la transmission du patrimoine immobilier. De nombreux mécanismes existent et sont très utiles pour adapter la transmission de son patrimoine à sa situation particulière (on donne classiquement pour exemple les donations de parts sociales en franchise de droits possible tous les 15 ans et la possibilité de démembrement de la propriété en nue-propriété et en usufruit, mais d’autres mécanismes existent).
La SCI, de maigres inconvénients à avoir en tête
La création et la mise en œuvre d’une SCI sont bien entendu un peu plus contraignantes que l’achat en direct par l’entreprise ou par le chef d’entreprise en son nom propre mais aucun des quelques obstacles ne nous paraît insurmontable.
Il est obligatoire de constituer un apport pour le capital social de la SCI mais celui-ci ne connait pas de minimum. Un capital social d’un euro symbolique suffira. Il est aussi impossible de constituer une SCI unipersonnelle et il faudra donc réunir au minimum deux associés pour la créer. Un conjoint, un enfant, un parent, un associé de la clinique, une entreprise : les solutions sont légion pour se sortir de cet écueil. De plus, si au cours de sa vie la SCI se retrouve avec un associé unique, elle ne sera pas automatiquement dissoute pour autant. L’associé dispose d’un délai d’un an pour régulariser la SCI et même sans cette régularisation, seul un recours devant le tribunal effectué par une personne y ayant un intérêt (et elles ne courront pas les rues) la fera disparaître.
Enfin, la SCI revêt tous les désagréments administratifs lié à son statut de société. Nécessité de tenir une comptabilité, de déclarer annuellement diverses choses (on pense bien sûr aux différents aspects fiscaux), de formaliser diverses décisions et procédures (convocation des assemblées générales des associés, validation des comptes, rédaction de procès -verbaux), de s’enregistrer auprès de différents organismes (RCS notamment). Notre avis est qu’un vétérinaire déjà apte à gérer sa structure n’aura pas de difficulté particulière à gérer une SCI. De même, le coût non négligeable des différents conseils nécessaires pour ficeler correctement votre investissement (notaires, juristes, expert-comptable...) sera à noter mais sera largement rentabilisé par les gains qu’une SCI, bien optimisée par rapport à chaque situation, vous fera engranger.
En bref, achetez les murs de votre structure est un investissement présentant d’immenses avantages et que vous ne regretterez probablement jamais. Ce sera d’autant plus le cas si vous vous êtes entouré des professionnels vous permettant de choisir le montage le plus avantageux et de l’optimiser par rapport à votre situation personnelle.
Gautier Slove,
Gestionnaire immobilier Commerces et Bureaux
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] Pour en savoir plus sur le bail commercial, lire notre article : « Quel bail pour les locaux de votre clinique vétérinaire ? » ;
[2] Conformément à l’article 256 du Code Général des Impôts la vente d’un immeuble ancien bénéficie d’une exonération de TVA : Disponible en ligne sur https://www.legifrance.gouv.fr ;
[3] La jurisprudence est constante sur ce point mais a encore été récemment confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 janvier 2021 (n° 20-18.642) ;
[4] Pour mieux comprendre ce phénomène, un bon article des Échos en accès libre est disponible ici : Taux d'usure : pourquoi il complique mon accès au crédit immobilier ;
[5] Le site « Les secrets de l’Immo » est particulièrement clair, précis et complet sur ce point ;
[6] Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a précisé que leur nombre a presque doublé en 10 ans, passant de plus de 48 000 en 2012 à plus de 88 000 en 2022. Source : LeFigaro.fr.