Ces chiffres inquiétants doivent nous pousser à nous interroger sur les raisons d'un tel fossé. Croyant peu aux coïncidences, c'est à mon avis à l'aune de la crise sanitaire que nous traversons qu'il faut envisager plusieurs hypothèses, probablement cumulatives :
Une augmentation d'activité liée à la crise
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Les confinements et mesures restrictives liés à la Covid-19 ont été l’occasion pour les français d'adopter plus d'animaux domestiques qu'à l'accoutumée. Il semblerait que ce phénomène (qualifié de “lockdown puppies” par nos confrères anglo-saxons) touche également des primo-accédants, qui ont vu dans cette crise l'occasion de "sauter le pas" ;
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Le télétravail a occasionné une plus grande proximité et donc une meilleure observation des animaux domestiques, ce qui a pu et peut encore donner lieu à une augmentation des motifs de consultations ;
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La diminution des dépenses de loisirs (et l'épargne qu'elle occasionne) a pu conduire à une augmentation du panier moyen chez le vétérinaire.
Cet engouement pour les chiens, chats, lapins, hamsters et autres compagnons pourrait être à l'origine d'une augmentation d’activité de l'ordre 10 à 15% pour les vétérinaires. Et qui dit augmentation d'activité dit...augmentation des besoins en bras et en cerveaux... donc en recrutements...
Une angoisse face à la crise
Une étude menée en avril 2020 entre autres par l'ODV [2] montre que 65 % des vétérinaires salariés sont inquiets pour leur avenir professionnel. Cela se traduit par des peurs (licenciement économique, diminution forcée du temps de travail, peur de disposer de moins d'opportunités professionnelles, voire de ne plus trouver de travail). Cette anxiété - qui date du 1er confinement et qui est peu fondée au vu des chiffres dont nous parlons ici - peut-elle être à l'origine d'un statu quo (diminution du turn over dans les cliniques) en attendant que la situation sanitaire s'améliore et expliquer en partie la baisse du nombre de candidats disponibles sur le marché actuellement ?
Un exercice d'introspection
Pour de nombreux confrères/soeurs, la crise sanitaire a été l'occasion d'une introspection et a parfois fait l'objet d'une prise de conscience :
Le premier confinement, caractérisé par un ralentissement d'activité, a permis aux vétérinaires praticiens de reconsidérer l'équilibre (ou le déséquilibre) entre leur vie professionnelle et leur vie familiale et personnelle. Il a pu développer chez certains des aspirations à une plus grande qualité de vie, qui passe nécessairement par un meilleur équilibre vie pro - vie perso ;
Par ailleurs, la réflexion introspective induite par la crise a probablement permis à d'autres de "passer le cap" en concrétisant un projet ou en faisant germer une idée préexistante, engendrant ainsi des reconversions professionnelles.
Parallèlement à la crise de la Covid-19, on peut envisager les hypothèses suivantes en sus :
Une augmentation des départs en retraite :
Nous arrivons au moment où les promotions conséquentes des années 80-90 partent progressivement à la retraite. Ces départs peuvent parfois se faire "en anticipé" et l'usure y est vraisemblablement pour quelque chose Qui pourrait les en blâmer ? Les difficultés de recrutement auxquelles viennent s'ajoutent les privations liées à la crise sanitaire (on y revient), ça use !
Une nouvelle structuration du marché
La libéralisation des services vétérinaires en France et l’arrivée récentes de nouveaux acteurs comme les groupes ou chaînes de cliniques sont à l'origine de restructurations de l'offre et de la demande au sein du marché de l'emploi vétérinaire. Cet impact semble être une hypothèse supplémentaire.
Il s'agit là de pistes de réflexion, qui peuvent agir conjointement et qu'il faudra examiner plus avant à l'aide de chiffres et de statistiques précises. Mais quoiqu'il en soit, un nouveau défi, s'il en est, s'annonce pour nos confrères associés. Pour faire face à la pénurie de vétérinaires praticiens et assurer la pérennité de leurs entreprises, ces derniers vont devoir réinventer les modèles de leurs structures et développer des stratégies palliatives (marque employeur, onbaording etc). Du moins en attendant que les mesures prises par l'ODV, le SNVEL et les ENV (évolution du cursus vétérinaire notamment) portent leurs fruits. Tâchons donc de rester optimistes !
Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée
Sources
[1] Statistiques www.vetojob.fr : ces chiffres sont pris en comparaison des mois de janvier à avril 2020, avec une "correction 1er confinement" appliquée aux mois de mars et d'avril 2020 ;
[2] Questionnaire (CARPV, Ordre des vétérinaires, Vétos-Entraide, SNVEL, CPSTI - Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants, Association centrale d'entraide vétérinaire - ACV, Association française de la famille vétérinaire - AFFV, Association de protection vétérinaire - APV), "Covid-19 : résultats de l'enquête sur les difficultés rencontrées au quotidien par les vétérinaires", avril 2020, En ligne (consulté le 12 mai 2021).