À la sortie de l'École, qu'attendais-tu de ton futur métier de praticienne équine ?
MD : Je crois que je voulais être la meilleure, la plus compétente ! J’étais passionnée par la chirurgie équine, je me voyais même faire une résidence. Rétrospectivement, je réalise que nous sommes formatés par un parcours très élitiste qui nous pousse à viser sans arrêt l’excellence et je me rends compte que je mélangeais deux choses : mon attrait pour la chirurgie - que j’ai toujours aujourd’hui - et la peur d’être considérée comme nulle par mes confrères. J’étais autant dans la fascination des spécialistes renommés que dans l’appréhension qu’on critique mes décisions en tant que praticienne. Je me revois, étudiante, juger les traitements de première intention mis en place par les vétérinaires référents. On manque tellement d’humilité à l’école… Dieu merci, la vraie vie se charge de vous remettre les pendules à l’heure (rires, ndlr).
Comment as-tu vécu la plongée dans le "grand bain" du monde du travail ?
MD : Et bien, comme tous mes amis : je me suis pris une grosse porte (rires, ndlr). Ce qui m’a le plus marqué, c’est de constater tout ce qu’il me restait à acquérir alors que j’avais déjà le sentiment d’avoir passé des années à apprendre. À l’école, on est très loin de la vraie vie, on ne voit que des cas référés, donc complexes. Je savais prendre en charge une colique chirurgicale mais pas une simple impaction de la courbure pelvienne. Je vivais comme une transgression tout ce qui sortait du « golden standard » de mes livres. J’étais par exemple terrorisée par l’injection de flunixine sur les coliques (rires, ndlr). Heureusement, mes premiers patrons étaient assez accompagnants là-dessus, ils comprenaient mon envie de bien faire et acceptaient ma jeunesse. Ils m’ont appris à dédramatiser. Les six premiers mois, j’ai pleuré tous les jours… C’était dur, je me mettais une pression de dingue, d’autant que la clientèle équine des Yvelines était ultra exigeante ! Mais hors de question pour moi d’abandonner : alors je me suis accrochée et j’ai appris…
Quelles autres difficultés as-tu rencontrées dans ta vie professionnelle ?
MD : Pour mon premier poste, j’étais collaboratrice libérale et je travaillais énormément, sans perspective d’évolution de salaire. En plus, j’avais toujours envie de me former en chirurgie et la charge de travail au quotidien ne m’en laissait pas l’opportunité. Or, pour moi, c’était la contrepartie de mon investissement. J’ai donc décidé de changer de boulot. J’ai trouvé un poste en équine dans l’Oise, où l’ambiance était sympa, avec beaucoup d’autonomie, un super équipement pour de l’itinérance et une meilleure cohérence entre mon salaire et mon temps de travail. En plus, c’était intéressant parce que la clientèle était motivée par les examens complémentaires. À ce moment-là, j’adorais mon travail. Mais peu à peu, je me suis laissé envahir par les clients : le soir, les week-ends, j’étais à leur disposition et ce n’était jamais assez. Je n’arrivais plus à couper avec le boulot. Je travaillais trop, j’ai fini par en perdre le sens de mon travail. Je ne suis pas passée loin du burn-out quand j’y repense…
C’est aussi à ce moment-là que j’ai eu une prise de conscience écologique qui est venu en rajouter une couche à mon mal-être professionnel et m’a même poussé à envisager une reconversion radicale.
Que veux-tu dire par « prise de conscience écologique » ?
MD : La médecine sportive me passionnait mais j’avais l’impression de contribuer à l’impact environnemental négatif de la filière équine. Cette contradiction entre mon attrait intellectuel et mes valeurs personnelles aggravait la perte de sens que je ressentais déjà. Même si ce conflit interne persiste encore aujourd’hui, je suis parvenue à retrouver du sens dans ma pratique en me concentrant sur une clientèle de loisir, sans pour autant exclure les chevaux de sport qui ont aussi besoin de soins.
L’équilibre vie pro/vie perso est un vrai sujet en équine, comment as-tu géré cela ?
MD : Les premières années, je n’ai rien géré du tout et puis après, j’ai tout simplement rencontré quelqu’un avec qui j’ai eu envie de faire ma vie. Et là, je me suis dit « tiens, la vie perso, c’est vachement bien aussi et celui-là, il ne faut pas que je le laisse filer » (rires, ndlr). La charge de travail a alors commencé à me peser davantage, d’autant que l’ambiance à la clinique s’était beaucoup dégradée. Et puis, mon fils est né et là, tout a changé ! La maternité a été pour moi une prise de conscience énorme de l’importance de l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. J’ai très mal vécu le retour au travail, ce à quoi je ne m’attendais pas. Je n’avais pas envie de laisser mon fils et de passer à côté de ma vie de famille. C’était le moment de me poser les bonnes questions et de changer les choses, même si ça passait par une réorientation de mon activité. Je n’ai pas hésité ! Professionnellement, ça tombait à un moment où mon mari pouvait bouger. J’ai répondu à une annonce en canine/équine à temps partiel en Franche-Comté. Canine et temps partiel : une révolution pour moi ! L’entretien m’a plu. Ni une ni deux, on a fait nos valises ! C’était en août dernier…
Et depuis août, qu’est-ce qui a changé ?
MD : Ça a été un retour à l’essentiel. J’ai tout simplement redécouvert à quel point j’aimais mon métier dans toute sa diversité. J’étais persuadée que j’aimais seulement les chevaux et j’ai découvert qu’en fait, j’aimais le contact avec l’animal, qu’il soit un cheval, un chien ou un cochon d’Inde. La canine m’a ouvert de nouveaux horizons. C’est une équipe bienveillante et soudée qui m’a accueilli et ça fait un bien fou ! Et comme nous sommes vigilantes aux amplitudes horaires, je suis moins fatiguée, moins à fleur de peau et ça s’en ressent dans tous les aspects de ma vie. Je profite de ma famille, je fais mieux mon métier, j’ai oublié ce que c’était d’être stressée et quand je rentre de vacances, j’ai hâte de retourner au boulot (rire, ndlr).
J’ai eu des doutes ces dernières années mais aujourd’hui, je sais que je suis faite pour être vétérinaire. Je crois même que je ne ferai jamais autre chose. Pour l’instant, je suis salariée mais on commence à parler d’association. J’ai toujours eu envie de m’associer, ça ne m’a jamais quitté et là, je me sens enfin au bon endroit pour le faire.
Quels conseils donnerais-tu à un étudiant qui a envie de faire de l’équine ?
MD : Je lui dirais d’abord que c’est un métier difficile - c’est d’ailleurs ce que je dis à mes stagiaires – et que c’est justement pour ça qu’il faut que la passion ait toujours le dessus sur les contraintes. Il faut commencer par s’interroger sur ses motivations personnelles et surtout essayer de s’extraire du formatage de nos études, même si c’est difficile. Nous avons été programmés pour chercher « la gloire », quitte à être exploités, voire maltraités. Il faut se demander si au fond, c’est vraiment ça qui va être source d’épanouissement dans notre vie. Je lui dirais aussi : « Ne laisse personne t’enfoncer : ni tes collègues, ni tes clients. », « Ne te résigne jamais, si tu vas travailler la boule au ventre, change de boulot ». Je lui dirais que faire de l’équine et avoir du temps pour sa vie perso, ce n’est pas contradictoire ! C’est toujours possible de faire autrement, à condition de s’en donner les moyens.
Et enfin, je lui dirais de tout faire pour trouver une équipe bienveillante qui n’aura pas d’à priori sur sa génération.
Tu parles de préjugés générationnels, quel est ton regard sur la jeune génération ?
MD : Je suis issue d’une génération (Y, ndlr) qui a été montrée du doigt. J’ai personnellement souffert de cette « présomption de feignantise » donc je me dis que la moindre des choses est de ne pas reproduire ce schéma avec la génération suivante. C’est vrai que parfois, j’ai des stagiaires qui me parlent de choses qui me paraissent dingues, ou du moins éloignées de ma réalité à moi. Mais j’essaie de comprendre, de me mettre à leur place et parfois je leur dis « ok, si tu le sens comme ça, on peut essayer ». Finalement, ce n’est pas si mal de ne pas vouloir rentrer dans le moule à tout prix. C’est une force de la jeune génération…
MERCI pour cette bouffée d’oxygène Mélanie ! La prochaine fois que je n’ai pas le moral sur l’avenir de la profession, je t’appelle ! Tu m’as tellement donné la pêche que je suis à deux doigts d’ouvrir le dernier tiroir de mon bureau, d’attraper mon stétho (je n’ai jamais réussi à m’en séparer…) et de repartir sur le terrain.
Propos recueillis par Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée
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